Métiers forestiers
Dans l'ouest de la France, on désignait sous le terme générique de boisiers tous les gagne-petits de la forêt. Tout ce peuple de gens très modestes rassemblait les bûcherons, les charbonniers, les sabotiers, les boisseliers qui façonnaient la vaisselle en bois, ceux qui faisaient des balais, des cages, des paniers, des engins de pêche, etc. Dans le Morbihan, les paysans les appelaient " Ineanen Koet ", âmes des bois. Vivant de cueillette, ils avaient une notion assez vague de l'idée de propriété et ne considéraient pas comme un vol les prélèvements en nature qu'ils opéraient dans les champs des paysans. En fait, ils ne connaissaient guère que les gardes-chasses et les forestiers, mais les considéraient surtout comme des gêneurs. De tout temps, ils ont été plus ou moins braconniers et estimaient légitime de garnir leur garde-manger au détriment du gibier du seigneur.
Dans la forêt sarthoise de Blacé, les fendeurs, les boisiers et les bûcherons avaient l'habitude, y compris l'été, d'entretenir un feu près de leurs ateliers pour se rassurer. Dans le Maine, quelques boisetiers -nom local des boisseliers- vendaient eux-mêmes au détail leur vaisselle de bois. Entassée dans une hotte en osier, ils la promenaient en criant "Boisterie ! Boiterie ! Oui ! Ouie !". Dans la Sarthe, lorsque le boîtier était devenu âgé tout en restant actif, il se reconvertissait en fabriquant des épingles de bois appelées jouettes dans la région. Pour ce faire, il utilisait des branches de chêne de la grosseur d'un doigt en tronçons de treize centimètres ; après avoir percé un trou avec une vrille de trois millimètres, il pratiquait une entaille en V pour rejoindre le trou ; lorsqu'il en avait quelques centaines, il partait en les suspendant en couronne autour de son chapeau vendre à la ville pour environ un franc le cent ces jouettes qui servaient pour étendre le linge à sécher.
Gardes forestiers
L'expression courante "Eaux et forêts" remonte à un édit pris par Louis VI pour statuer en 1115 sur ces deux matières. Depuis lors, presque tous les rois de France prirent des ordonnances sur celles-ci dans le but de conserver l'intégrité de leurs domaines. Ce fut le cas, en particulier, en 1669, d'un "Edit portant règlement général pour les eaux et forêts" Selon celui-ci, dans des termes repris par le code forestier de 1827, l'adjudicataire de chaque coupe de bois devait avoir un facteur ou garde-vente. Ce garde-vente était non seulement autorisé à dresser procès-verbal d'infraction, tant dans la coupe vendue qu'à l'ouie de la coupe, mais l'adjudicataire était contraignable par corps du paiement des amendes encourues si son garde-vente n'en faisait pas rapport à l'agent forestier dans les cinq jours ; comme la distance à laquelle on peut entendre une cognée varie selon la taille de l'instrument ou la direction du vent, cette distance était fixée forfaitairement à 250 m des limites de la coupe. La coupe indue d'un arbre, voire d'un baliveau réservé lors du martelage était passible d'une amende de 150 francs, soit six mois de salaire d'un ouvrier…
Les Eaux et Forêts constituent l’une des plus anciennes institutions administratives françaises et le corps des agents forestiers s’enorgueillit de posséder la plus vieille tradition qui soit au monde dans le domaine. On trouve à l’origine un Grand forestier devenu ensuite Enquêteur général, puis Grand maître des eaux et forêts. Le domaine royal était divisé en dix maîtrises, nombre porté ensuite à dix huit. Les maîtres des eaux et forêts effectuaient toutes les ventes de bois, affermaient les étangs, jugeaient les délits de chasse et assuraient la police de la pêche dans toutes les forêts domaniales. François Ier étendit leur compétence sur les terres des princes, prélats et communautés religieuses.
La surveillance des forêts du domaine royal fut d’abord confiée aux baillis et sénéchaux avant de l’être à des agents spécialisés. Premiers d’entre eux, les verdiers avaient la responsabilité d’une portion de territoire nommée verderie. Ils avaient comme subordonnés des gruyers, que l’on appellerait aujourd’hui gardes forestiers, ayant compétence sur une gruerie. Parmi ces derniers, on connaît le sieur Guillaume de Hainault, gruyer de la forêt d’Yveline, que Pépin le Bref nomma vers 995 en même temps seigneur des châteaux d’Epernon et de Montfort qu’allait fortifier son fils Amaury.
Dans certaines forêts du domaine royal, il était possible de procéder à des ventes de bois sans autorisation préalable en acquittant le dixième du prix total de la vente, ce qu’on appelait le ‘danger’ alors que, dans d’autres, pouvait s’ajouter un droit représentant un tiers du fruit de la vente. Pour faire respecter ces droits, Henri II institua en 1552 des " sergents dangereux ".
L'état général de 1792 a établi la liste du personnel qui travaillait avec M. d'Angiviller, capitaine des chasses, gouverneur et administrateur du domaine de Rambouillet acquis par Louis XVI neuf ans plus tôt. Il avait sous ses ordres deux inspecteurs de forêts, un avocat, un secrétaire, un bibliothécaire, un inspecteur des bâtiments, un concierge, un lieutenant et deux sous-lieutenant des gardes, deux gardes généraux, un garde faisandier, trente six gardes, un chef routier et douze routiers, sans compter un économe et onze charretiers, vachers, bergers, garçons de ferme et servantes pour l'exploitation de la ferme attenante.
Antérieurement, Charles V avait réuni en 1376 tous les règlements jusque là épars sur le " fait des forêts " en un premier code forestier qui ne sera réformé qu’en 1827. Sous la Révolution, les maîtres des eaux et forêts devinrent conservateurs des eaux et forêts et inspecteurs des forêts après avoir été directeurs des domaines sous la Restauration. Pour accroître leur compétence et celle de leurs collaborateurs, Louis XVIII créa en 1824, à Nancy, l’école forestière qui est toujours dans cette localité.
Enfin, des agents forestiers appelés porte-marteaux furent établis en 1583 pour marquer les arbres à prélever à l’aide d’un marteau qu’il ne pouvait confier à autrui sans raison valable. Comme le reste des forestiers, qui dépendaient jusqu’alors du ministère des Finances, ils devinrent en 1877 des agents du ministère de l’Agriculture et du Commerce. Un directeur général avait, pour ce faire, un personnel nombreux comprenant des administrateurs, des chefs de bureaux et des commis pour l'administration centrale et, sur le terrain, des conservateurs, des inspecteurs, des gardes généraux sortant de l'école forestière de Nancy, des arpenteurs, des brigadiers et des gardes à pied. Après la création en 1881 du ministère de l’Agriculture et leur compétence ayant été élargie à la police et à la gestion de la pêche fluviale, les plus compétents d’entre eux constituèrent en 1898 le corps des ingénieurs des Eaux et forêts.
Marchands de bois
Les forêts appartinrent durant des siècles aux nobles où ils satisfaisaient leur plaisir de la chasse et aux congrégations monastiques. De ce fait, seuls les nobles, grands bourgeois et hauts fonctionnaires royaux pouvaient entretenir une cheminée pour chauffer chaque pièce de leur habitation. Les autres, et encore pour ceux qui étaient les moins mal lotis, devaient se contenter de s'emmitoufler durant la journée et, pour la nuit, de s'enfoncer sous un édredon après avoir passé une bassinoire entre les draps pour les réchauffer. Je me souviens, moi-même, dans les années 50, avoir couché dans une chambre de ferme où, au petit matin, j'avais du casser la glace qu'il y avait dans la bassine émaillée avant de pouvoir faire ma toilette... D'ailleurs, lors des recensements, on assimilait un feu à une famille.
Selon Benjamin Franklin, il était de tradition, pour les secrétaires d'Etat d'installer l'hiver d'énormes brasiers devant leur hôtel particulier parisien auprès desquels les pauvres venaient se réchauffer. Le bois arrivait par flottage ou par bateaux. Les marchands livraient le bois à domicile et leurs commis n'hésitaient pas à débiter les bûches sur la chaussée.
Dans les Cévennes le village de Saint- Gervais était le lieu d’un commerce très actif de châtaignons, c’est-à-dire de brins de châtaigniers qui étaient employés comme échalas ainsi que pour la fabrication de cercles pour la tonnellerie.
Bûcherons
La vente terminée, chaque marchand de bois adjudicataire organisait la coupe de sa " vente ", embauchant ébrancheurs, coupeurs, fagoteurs et commissionnait le garde-vente préposé à la surveillance des travaux.
Les ouvriers bûcherons, traditionnellement et encore aujourd'hui payés à la tâche par les propriétaires ou les marchands de bois, étaient parmi les plus pauvres. Vivant en petites communautés, ils complétaient leurs maigres ressources en ramassant champignons, baies et autres produits de la forêt grâce à leur parfaite connaissance de celle-ci.
Lorsque le canton était trop éloigné des villages et que les coupeurs ne pouvaient pas rentrer chez eux le soir, la première opération des bûcherons consistait, pour abriter hommes et outils, à édifier une hutte de branchages sur l’emplacement désigné par le garde forestier. Le jour d’édification de la " loge " était chômé, le chantier ne démarrant que le lendemain.
Pour l’abattage, seule la cognée était autorisée, les souches devant être nettement ravalées " rez de terre " pour ne pas qu’elles pourrissent avec la pluie et ne propagent quelque maladie. Les gros copeaux dits " ételles " qui résultaient de ce travail et qui pouvaient représenter trois à quatre chariots sur un hiver, étaient gardés pour son propre compte par le bûcheron. Selon leur état de santé, les branches maîtresses étaient sciées pour la menuiserie ou le chauffage. Lorsque l’adjudicataire voulait des ramures entières, non endommagées par la chute de l’arbre, un ébrancheur, muni de genouillères de cuir et chaussé d’éperons, grimpait jusqu’au faîte pour le découronner à coups de serpe.
Pendant que les bûcherons maniaient la cognée et la scie, leurs femmes et enfants cueillaient dans la forêt vosgienne des fraises des bois, framboises, mûres et baies de sureau pour la production d'eau de vie. Au début de ce siècle, les framboises leur étaient achetées 0,25 francs le kilo.
L’exploitation terminée, les bois destinés au chauffage, comme aujourd’hui, étaient empilés et emmétrés, les ramilles destinées au charbonnage étant rangées à part ou rassemblées par les fagoteurs alors que les bois de charpente étaient sortis par les débardeurs avec un fardier.
Après les tempêtes d’octobre, on rencontrait maints vieillards et femmes traînant sur leur dos une charge de bois mort. Les ramasseurs de bois mort étaient aux bûcherons ce qu’étaient les glaneuses aux moissonneurs. Les gardes forestiers les tenaient à l’œil car il était tentant de transformer d’un coup de serpe une branche en bois mort. Mais la véritable bête noire des gardes était le délinquant " d’habitude " qui coupait les baliveaux de cornouiller, de houx, de néflier sauvage par centaines pour en faire des manches de fouet. Les gardes avaient beau dresser contre lui des montagnes de procès-verbaux, il ne s’en souciait guère. Sans meuble saisissable et gîtant dans les bois, il ne passait guère plus de deux mois en prison, lorsque les gendarmes le saisissaient, avant de reprendre sa vie de vagabond et de braconnier jusqu’à ce qu’on le trouve mort de froid au fond des bois.
Dans les contes pour Jacques Bonhomme, Paul Fort raconte ainsi la légende de saint Grelottin, le moine-bûcheron : " un jour que chantait pouille au froid tout le pays, saint Grelottin, vivante braise incomparable, à qui ne déplaisait bon bois, se trouvait l'hôte d'un érable dont largement, autour du fût, il ébranchait le superflu. Le vent faisait voler sa bure: on l'eût dit oiseau de nature. Mais supputant ses hauts destins ou, rêveur, humant le festin, voilà qu'il laisse errer sa serpe. Elle va, tombe, elle est dans l'herbe... Il songeait donc à redescendre, ne voyant nulle oiselle en vendre, pas même une voleuse pie, quand le voilà pris de la folle envie d'un pipi. Ecartant l'une de ses jambes, traditionnellement ce semble, il en fit un si dru, si... Miracle ! ... Il vit à quatre pouces, et jusqu'au pied de l'érable, son beau jet glacé dans sa course, victime de ce froid de diable. Ce jet brillant comme une lance, ce fin jet droit... n'avait pas chu dans l'herbe. Il était tombé sur la serpe. Il remercia le bon Dieu... prit d'une main le glaçon qui tenait la serpe et vous remonta celle-ci tout saintement jusques à lui ! .. Des bûcherons, il est le patron, et d'eux toujours il est fête pour ses ruses et malignité " Ce que vient d'ailleurs prouver une photo prise en forêt de Rambouillet au cours de l'hiver 1913.
A Fontenay-aux-Roses, les bûcherons fêtaient saint Grelottin le jeudi gras. Munis d’un balai de bouleau, ils se rendaient alors chez leur patron qui leur offrait un banquet avec pour seul dessert des noix. Celles-ci étaient malgré tout bien accueillies parce qu’elles avaient la réputation de mieux supporter les boissons fortes...
Après les Américains, des bûcherons français utilisèrent en 1900 une scie portative à vapeur commercialisée par le constructeur anglais Ransome. Celle-ci, montée sur châssis et pesant environ 200 kg, était reliée par un tuyau flexible d’une vingtaine de mètres à une petite chaudière de 4 CV brûlant des déchets de bois ; un autre modèle comprenait une chaudière de 6 CV pour alimenter deux scies mécaniques. Une équipe de quatre hommes pouvait ainsi abattre et débiter 8 arbres de 0.75 m de diamètre en une heure.
Scieurs
Jusqu'à ce que se multiplient les scieries mécaniques, on pouvait rencontrer en forêt, et ceci pour limiter les contraintes du transport, des ouvriers spécialisés qui débitaient le bois de sciage en planches et le bois d’équarrissage en poutres, chevrons et membrures. Ils débitaient d'abord les troncs d'arbre en billes et les aplanissaient sur deux faces parallèles qui recevaient au crayon les traits du sciage. Après avoir arrimé la bille de bois sur un chevalet, le compagnon surnommé le " singe " se hissait en équilibre sur la bille et empoignait la " guitare " surnommée également la " belle-mère " dont le patron, resté au sol, guidait l'avancée. Les scieurs de long se plaçaient sous la protection de St Balthazar.
Scieur de peupliers dans la vallée de la Rance en même temps que cultivateur à Champs-Géraux, M. Gabillard ne se doutait pas que sa fille allait épouser celle qui sera la mère de François Pinault, cet industriel qui sera considéré comme le plus riche de France à la fin du XXe siècle après avoir repris la petite scierie de son beau-père Baptiste Gautier que celui-ci exploitait à Trévérier avec deux ouvriers. Il est vrai que le scieur avait probablement pressenti le potentiel de son gendre ; il lui prêta, en effet, l'équivalent de 45 ans du salaire qu'il lui versait comme chef d'exploitation chargé des approvisionnements pour lui permettre de reprendre son affaire et se lancer dans le commerce du bois.
Pour fournir les marchands de vin et les tonneliers, des cercliers et lattiers découpaient les baliveaux de châtaignier en planchettes en s’aidant de rustiques chevalets sous de modestes cabanes dressées en forêt.
Certains artisans du Jura se sont spécialisés dans la fabrication de boites à fromage en épicéa, bois qui a un pouvoir antiseptique apte à préserver les qualités du fromage. Le sanglier passait derrière le bûcheron chercher dans la forêt la sangle d’épicéa destinée à enserrer le vacherin du Haut Doubs. Il ne devait pas la faire sécher au soleil, ce qui aurait risqué de la cuire, mais dans un grenier bien aéré. Avec simplement une découpeuse et un rabot, un bon sanglier était capable de sortir 50.000 sangles par an.
Gemmeurs
Le premier qui eut l'idée de planter des pins pour fixer les dunes des Landes fut, en 1775, un certain Desbiey, receveur des fermes royales. Cette suggestion fut adoptée par le baron de Villers que Louis XVI avait envoyé à Arcachon pour créer un port. Le baron consigna ses notes dans plusieurs mémoires entre 1778 et 1781 mais, rappelé à Versailles, son projet fut repris et mis en œuvre par Brémontier.
La loi du 18 juin 1857 a fait obligation aux communes propriétaires de terres de défricher les zones incultes, de les assainir et de les planter dans un délai de douze ans. A partir de 1860, le département des Landes devint ainsi un vaste chantier de plantation de pins maritimes réalisée par des équipes de bagnards. Progressivement, 800.000 ha furent plantés. Les pinèdes furent confiées aux soins des résiniers ou gemmeurs pour récolter la résine en incisant les arbres âgés d'au moins vingt cinq ans. Alors que les forestiers de l'Etat privilégiaient l'exploitation du bois, les forêts privées étaient d'abord exploitées pour la résine, du moins tant que les produits de synthèse n'en réduisent pas le prix. Outre l’intérêt d’arrêter les dépôts de sable éolien amené par les vents océaniques, cette forêt devint le gisement de ce qu’on appela au milieu du XXe siècle " l’or des Landes " : la résine.
Les anciens paysans landais se reconvertirent en effet en résiniers. Le métier exigeait beaucoup de savoir-faire pour obtenir un bon rendement, soit quatre barriques de 340 litres par hectare. Après une reconnaissance en février, ils opéraient de mars à octobre une première incision –la care- au pied de l'arbre à l’aide d’une " hachotte ", sur l’écorce des pins âgés de plus de vingt ans. La gemme s’écoulait alors le long du tronc de l’arbre jusqu’à un pot de terre sur lequel il était cramponné. Pour laisser reposer les arbres, ils ne pratiquaient les incisions que deux ans tous les quatre ans. Ils collectaient et transportaient ensuite la résine dans des barriques jusqu’à la distillerie où on en tirait de l’essence de térébenthine.
Le gemmeur était en fait un métayer. Il recevait, selon les localités, le tiers ou la moitié de la valeur de la résine récoltée ; ailleurs, il avait une redevance fixe par barrique, quel qu'en soit le cours ; dans certains endroits, le transport lui incombait alors qu'à côté, celui-ci était à la charge du propriétaire. Ces différences provenaient du fait que les rapports entre propriétaires et gemmeurs étaient souvent tendus et les grèves fréquentes. Vers 1880, la barrique de résine se vendait 50 francs pour atteindre le double de 1906 à 1920.
Charbonniers
Avec les bûcherons, les écorceurs et les charbonniers formaient le peuple transhumant de la forêt. Les écorceurs commençaient par enlever l’écorce des chênes en baliveaux, la mettait en bottes, puis en piles, avant de couper les arbres. Venaient ensuite les charbonniers
Après avoir conclu son marché avec l’adjudicataire d’une coupe, le maître charbonnier y commençait la construction de ses fourneaux sur le lieu d'abattage afin de réduire les contraintes liées au transport en brouette du bois débité en bûches ou charbonnette. Il choisissait un bon " cuisage ", un endroit abrité du vent et situé près des routes forestières. Il définissait en huit enjambées le diamètre du fourneau à dresser, détaillait les branches et formait la meule. Tout l'art du charbonnier résidait dans la conduite de la carbonisation au fur et à mesure de la progression du feu dans la cheminée du fourneau. Cette opération se faisant mal par temps de pluie ou de vent, la production se limitait pratiquement entre les mois de mai à octobre. Après la cuisson, le charbon était tiré à l’air libre avec des râteaux, puis était chargé dans de larges bannes pour le voiturer jusqu’à la forge ou l’entrepôt, à moins que les chemins ne soient pas suffisamment praticables ; en ce cas, les brioleurs le convoyaient avec leurs mulets.
La rudesse du langage et de leurs allures, leur barbe en broussailles, un visage barbouillé de noir et un accoutrement sentant fort la fumée donnaient à ces nomades solitaires de la forêt un véritable aspect diabolique qui effrayait les enfants de la ville. Cette crainte était en partie partagée par les gens du peuple qui prêtaient aux charbonniers le pouvoir de mener les loups. Les charbonniers de la forêt de la Puisaye dans l'Yonne communiquaient entre eux comme les peuplades qui vivent dans la jungle africaine : par quelques coups donnés sur une douve ou une planche suspendue à la main qu'une oreille exercée pouvait entendre et décrypter à plusieurs kilomètres. Leur association des Cousins de la Gueule noire aurait cessé son activité au début du Second Empire.
Il existait un compagnonnage des charbonniers et des bûcherons moins connu que celui des maçons, mais probablement au moins aussi ancien et qui résista mieux que d'autres aux invectives révolutionnaires. D'ailleurs, lors de la Restauration, la société secrète des charbonniers, dénommés "carbonari" au-delà des Alpes, joua un rôle considérable en France et en Italie. Se plaçant sous le patronage de saint Thiébaut, ils se réunissaient en forêt et se donnaient le titre de "bons cousins", le récipiendaire étant appelé "guêpier". Les maîtres charbonniers appelaient leurs aides garçons de la pelle ou plumets. Ceux-ci portaient en effet, sous le règne de Louis XIII, des plumes sur la tête. Moins exclusifs que la plupart des autres métiers, ils admettaient parmi eux des personnes de toutes conditions sociales et se reconnaissaient par des serrements de main particuliers.
Il n'y avait évidemment pas de corporation des charbonniers dans la capitale puisque la production du charbon de bois y était interdite pour des raisons de sécurité. Mais il y avait des marchands de charbon de bois, originaires pour la plupart d'Auvergne. Ils avaient un privilège auquel ils tenaient beaucoup et qu'ils partageaient avec les dames de la Halle : c'était le droit d'envoyer une délégation présenter les félicitations du métier à la famille royale lors de la naissance et du mariage de l'un de ses princes. L'hiver, ils étaient confrontés à la concurrence des marchands de mottes à brûler. Celles-ci n'étaient pas autre chose que de la tourbe que ces marchands ambulants transportaient dans une petite hotte.
Malgré l'utilisation croissante du charbon de terre introduite pour la première fois au Creusot en 1785, le charbon de bois demeurait au XIXème siècle d'un usage très courant. La production française de fonte au charbon de bois a atteint son maximum entre 1837 et 1856. Bien qu'ingrat et éreintant, les charbonniers, travaillant le plus souvent, en équipe, exerçaient l'un des métiers les mieux rétribués de la forêt. Ils y vivaient, le plus souvent dans une " loge " ou " culot " qui n'était en fait qu'une simple hutte couverte de branchage et de terre.
Selon Noelas, ils menaient une vie très rude : isolés et nomades, ils quittaient l'hiver leur chaumière pour aller en forêt dans des huttes qu'ils détruisaient et reconstruisaient à chaque campement. Les parois étaient formées de branchages garnis de feuilles sèches et de mousse. Une claie horizontale soutenait un lit de fougère ; une pierre plate servait de foyer pour le feu et un panneau mobile de branches entrelacées servait à la fois de porte, de fenêtre et de cheminée. Durant la journée, le charbonnier sciait des rondins de bois qu'il assemblait symétriquement autour d'une perche en ménageant des évents pour assurer les entrées d'air ; il couvrait ensuite sa meule avec de la terre humide et des mottes de gazon. Pour faire ce travail, il emmenait souvent sa famille et quelques aides. Dans certaines forêts, des leveurs mettaient en cordes le bois à charbon dont les dresseurs formaient des monticules appelés "fourneaux". Lorsque le charbon avait "rendu son cri", le charbonnier mettait le charbon bien sec dans des sacs de toile grossière qu'il chargeait sur sa mule et allait vendre en ville.
La vente du charbon en ville était, à la veille de la première Guerre mondiale, accaparée par des marchands surnommés " bounias " originaires du Puy-de-Dôme et du Cantal. Selon un " glaneur " de chansons de cette époque, ils se réunissaient chaque dimanche à huis clos pour chanter en chœur et danser, au son de la chabre, des bourrées auvergnates ; toujours selon la même source, ils ne se lavaient qu'une fois par an, le jour de Mardi-Gras, à seule fin de se déguiser. Les charbonniers ne se mêlaient à aucune autre corporation et, lorsqu'ils avaient besoin de main d'œuvre, faisaient appel à un autre auvergnat respectueux des traditions : chanter, danser la bourrée et manger l'aligot. Ceux qui exerçaient leur métier à Paris prirent l'habitude d'annexer de petits bistrots à leur commerce de charbon et de bois en ayant l'espoir, fortune faite, de repartir au pays y ouvrir un café et finir leurs jours entourés de leurs amis.
Louvetiers et veneurs
Dans les campagnes du Moyen Âge, les loups étaient redoutés, en particulier l’hiver où ceux-ci chassaient en bandes. Charlemagne ordonna aux comtes qui gouvernaient les provinces d’établir dans chaque gouvernement deux louvetiers pour les détruire. En 1477, Antoine de Crèvecoeur fut nommé Grand louvetier de France assisté par des lieutenants de louveterie dans les provinces. Le service de la louveterie fut rattaché en 1830 au service des Eaux et Forêts.
La duchesse d'Uzès fut seule française qui ait été nommée officiellement "officier de louveterie". Elle commença à chasser à courre avec son mari à l'âge de vingt cinq ans et suivit à cheval sa dernière chasse soixante et un ans plus tard... Ce jour là, en janvier 1933, elle ajouta une 2.056ème tête de cerf à la collection du château de la Celle-les-Bordes. L'équipage du Rallye-Bonnelles dont elle était le maître disposait d'une meute d'une soixantaine de grands chiens sélectionnés. La duchesse était par ailleurs présidente d'honneur du Saint-Hubert Club fondé par le comte de Chary. Elle ne battit pas le record du marquis de l'Aigle qui chassa à cheval jusqu'à l'âge de 102 ans.
Les veneurs d'une chasse à cours étaient aidés en principe par 2 piqueurs, un troisième étant chargé en queue de la meute de rallier les chiens perdus et de ramener les relais. A l'origine le valet de limier devait, à l'aube, relever la voie des animaux qui étaient rembuchés dans le bois au petit jour, après s'être nourris dans les gagnages. Il utilisait pour ce faire un chien courant bénéficiant d'un bon flair et qu'il avait dressé à être secret, c'est-à-dire à ne pas aboyer.
Fauconniers
La chasse à l’aide d’oiseaux rapaces fut un sport très prisé des rois. Il y a deux sortes de chasse à l’aide des oiseaux de proie : la " fauconnerie " qui est la chasse de haut vol avec les faucons et " l’autourserie " qui est la chasse de bas vol avec les autours et éperviers. En 1250, Jean de Beaune était dit maître fauconnier du roi et tous ses successeurs portèrent ce titre jusque Charles VI donne, en 1406, à Eustache de Jaucourt le titre de Grand fauconnier que les chefs de la fauconnerie royale conservèrent jusqu’à la Révolution. Il nommait tous les officiers de chasse à l’oiseau et les marchands fauconniers devaient lui présenter leurs faucons, sous peine de confiscation, pour qu’il choisisse ceux qu’il voulait pour la fauconnerie royale. Parmi les plus célèbres détenteurs de ce titre, on peut citer René de Cossé-Brissac, le maréchal de Brissac et le duc de Luynes. Les autoursiers étaient, au Moyen Âge, réputés pour leur patience au point que leur devise " Hâte-toi lentement car ce qui se fait bien se fait prou vistement " était encore très employée en 1900. A cette date, il restait encore en France une demi-douzaine d’équipages, mais ils devaient recruter leurs fauconniers en Angleterre.
La fauconnerie royale de François 1er entretenait 300 oiseaux et, dans beaucoup de localités, les seigneurs s’étaient arrogés le droit d’entrer dans l’église avec leur oiseau de proie. L’ouvrage le plus ancien écrit en français qui décrit la fauconnerie, intitulé " Livre du roy Modus ", a été rédigé en 1328 mais ne fut édité qu’en 1839, alors que cet art tombait en désuétude.
Le Grand fauconnier était le premier officier de la grande fauconnerie royale qui comptait plus de cent officiers, sans compter les gardes des aires et les valets. Il nommait à toutes les charges de chefs de vol, deux pour le milan, un pour le héron, deux pour la corneille, un pour rivière, un pour le canard, un pour les champs, un pour la perdrix, un pour la pie et un pour le lièvre. Chacun de ces vols avait un chef et un lieutenant. Ces officiers de fauconnerie ne servaient pas seulement pour la chasse : jusqu’au XVIIIe, ils accompagnaient le roi dans les cérémonies officielles.
Petits métiers de la forêt
Les balaisiers, ou marchands de balais, se rendaient dès le matin dans la lande normande pour y arracher des touffes de bruyères ; ils colportaient eux-mêmes leurs balais pour approvisionner d'abord les ménagères des villages voisins et écoulaient le surplus en ville.
Des leveurs de truffes traquent depuis des siècles la truffe noire dans plusieurs régions au sol calcaire. Dans le Tricastin, sa récolte était une activité si importante que les statuts de la communauté de Richerenches-Bolboton, établis en 1595, interdisaient d’envoyer ses cochons chercher des truffes sur les terres d’autrui et, pour les étrangers, de venir dans le terroir avec leurs cochons sous peine de se faire confisquer leurs animaux. Malheureusement pour les propriétaires des bois de la Drôme et du Vaucluse, les leveurs de truffes ne dressaient pas uniquement des porcs pour rechercher ces précieux champignons. En effet, le porc refusant de travailler la nuit, certains dressaient également des chiens, ce qui donnait un alibi crédible aux braconniers. Cette activité offrait un débouché avant la Première guerre mondiale à plusieurs fabricants de boites en carton de Valréas pour l'expédition des truffes.
Les autres régions réputées pour leurs truffes étaient évidemment le Périgord, mais également l’Angoumois et le Beaujolais. A la fin du siècle dernier, les grands négociants fournis par les leveurs de truffes du Tricastin expédiaient le fameux ‘diamant noir’ jusqu’à Moscou et fournissaient la plupart des cours européennes.
Dans le massif des Maures, des femmes cueillaient les rameaux de sumac. Ceux-ci étaient ensuite mis à sécher et effeuillés, les feuilles étant pulvérisées et mises en sac pour être livrées aux tanneries du Var.
Les serpents, même venimeux, furent longtemps recherchés autant pour l’alimentation que pour la préparation de remèdes et vaccins. Ainsi, au XVIIe siècle, avant d’être apothicaire artiste du roi, Charas tenait une boutique baptisée ‘Aux Vipères d’Or’. Après qu’il nous ait démontré les bienfaits que nous pouvions en tirer pour la pharmacopée et alors que les élégantes contemporaines de la marquise de Sévigné entretenait l’éclat et la fraîcheur de leur teint en buvant du bouillon de vipères, Charas nous a laissé quelques recettes culinaires comme la préparation d’un plat de vipères consommées sous le nom ‘d’anguilles de montagne’ et d’un plat de couleuvres sous le nom ‘d’anguilles de buisson’.
Les vipères exposées au vivarium du Jardin des Plantes ne vivent pas plus de six mois pour la simple raison qu’elles refusent toute alimentation en captivité. Ce sont donc des preneurs de vipères qui, comme pour l’Institut Pasteur qui utilise le venin pour la confection des vaccins, l’approvisionne. Au début du siècle, l’abbé Chabirand, prêtre de Vendée, fut l’un de leurs principaux pourvoyeurs. S’il se contentait, pour les prendre, d’une simple bêche à tranche mousse et d’une pince métallique, le naturaliste creusois Raymond Rollinat, spécialiste des reptiles et de leur sexualité, les attrapait au lasso...
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