Artisans de l’alimentation

Meuniers

L’écrasement du blé était considéré chez les peuples de l’Antiquité comme un travail pénible dont on chargeait les esclaves et les prisonniers. Les Egyptiens y soumettaient les criminels à qui on crevait au préalable les yeux. Chez les Romains, outre les prisonniers de guerre, les citoyens pauvres –dont faisait partie initialement le poète Plaute- qui exerçaient le métier étaient appelés " pistores ". Les meules qu’ils utilisaient étaient de simples pierres plates en forme de disques qu’ils actionnaient autour d’un pivot à l’aide d’un manche.

On se servit longtemps de moulins à bras pour moudre le blé. On en trouva jusqu’au XIIIe siècle, en particulier dans les monastères situés loin des rivières, dans les déserts ou les forêts. Il était alors prescrit aux moines d’y moudre le grain nécessaire à la nourriture du couvent. On dut même les rétablir à Paris en 1741 à la suite d’une inondation et d’un hiver très rigoureux.

Les moulins dont le mouvement est contrôlé par des engrenages semblent avoir été inventés par les Romains. L’architecte Vitruve en a d’ailleurs fait une description détaillée en 25 avant Jésus-Christ. Les moulins mus par la marée apparurent en Vendée au XIe siècle.

Le comte des Flandres Philippe d’Alsace possédait, en 1330, deux moulins sur la Lys, en amont d’Aire-sur-la-Lys et les bourgeois de la ville avaient le leur à l’intérieur de l’enceinte fortifiée. Dans les deux cas, les compagnons étaient logés dans des maisons ouvrières situées sur la rive opposée. Détruits lors du siège par les soldats prussiens, les anciens moulins du comte furent reconstruits en 1883 avec trois roues à aube qui, tout en alimentant en électricité les entreprises de la ville, entraînaient les meules, un élévateur à godets, une pompe à eau et un monte-sac. La puissance d’écrasement fut décuplée onze ans plus tard par l’adoption d’une machine à vapeur, ce qui signa l’arrêt de mort des petits établissements de la région.

En fait, on peut retrouver les traces de moulins à eau dès le IXe siècle. Ceux-ci étaient évidemment au service des grands domaines, mais également des paysans du voisinage car, malgré le prix de ce service, le moulin libérait une grande quantité de main d’œuvre accaparée jusqu’alors par le broyage manuel. Il suffit de se promener dans les villages africains et observer le travail des femmes pilant le mil pour se rendre compte du progrès que représente l’installation d’un moulin. Certains roturiers négocièrent auprès du seigneur du lieu l’acquisition du terrain et le droit de faire une prise d’eau, moyennant un cens annuel payable à la saint Michel. Mais beaucoup de propriétaires, nobles ou roturiers, conservèrent le monopole du droit de mouture sur leurs terres et dans leurs fiefs. Périodiquement, les habitants des alentours devaient donc aller au moulin banal pour moudre leurs bleds (ensemble des céréales à paille). De fait, les moulins se comptaient par dizaines de milliers... Ainsi, dans un département particulièrement arrosé comme la Lozère, on ne recensa pas moins de 1.268 moulins à eau en 1809, soit un moulin pour 100 habitants ! .. A la même date, il y en avait un pour 355 gardois et un pour 485 habitants de l’Hérault.

Au XIVe siècle, la Seine était jalonnée de moulins au fil de l’eau : on en dénombrait 55 entre l’île de la Cité et le Pont au Change. Sur ce pont, qui brûla au XVIIe, ne fonctionnaient pas moins de 13 moulins, seule l’arche centrale restant libre pour la circulation fluviale.

Plusieurs personnes pouvaient être propriétaires d’un même moulin à eau en se partageant les mécanismes : l’un avait par exemple deux roues à aubes pour le blé, un second une autre roue et un troisième le foulon qui était éventuellement annexé pour utiliser la puissance de la chute. Dans certains cas, il était possible de louer tout ou partie des installations, le propriétaire cohabitant souvent avec le locataire pour mieux veiller sur son bien...

Pour assurer la pérennité de l’exploitation du moulin, il était fréquent que le meunier réglât sa succession dès le mariage d’un de ses enfants. Le plus souvent, en recevant sa dot, la fille renonçait à ses droits sur l’héritage parental. Ainsi, en 1777, le meunier de Recoulettes Jean Duttu verse-t-il une dot de 1.200 livres à la fiancée de son fils. Celui-ci est désigné comme héritier de tous les biens présents et à venir de ses parents à quelques réserves près en prévision de la dot qui devra être versée pour la sœur cadette ; enfin, dans l’éventualité d’une mésentente dans le jeune couple, Jean Duttu prévoit le versement d’une rente viagère annuelle de 3 setiers de seigle et 3 d’orge criblés prêts à moudre payables à la saint Michel pendant toute la durée de séparation du couple, plus un pied de cochon salé avec sa suite, 6 livres d’huile de noix, la possibilité d’user des jardins attenants au moulin, de prendre du bois au bûcher, plus un quart des fruits du verger sauf ceux des noyers ainsi qu’un habit complet pour chacun des parents tous les trois ans et le logement pour les parents et la sœur cadette tant qu’elle sera célibataire. Par contre, le fils devient le meunier en titre de Recoulettes dès le jour de son mariage. Grâce à ces dispositions successives, le moulin restera dans la famille jusqu’en 1950 ! ...

Le meunier beauceron Rousseau et Pigeault de Senlis proposèrent à leurs clients boulangers une " mouture à la grosse " dite économique. Mais la fraude était trop tentante. Les ordonnances royales de 1546 et 1658 interdirent la fabrication de pain contenant le son et la farine grossière dite gruau. En dépit des famines de 1709 et 1726, l’interdiction fut renouvelée en 1740. Deux ans plus tard, exploitant une idée de l’ingénieur Favre et du colonel Ducrest, le mécanicien américain Evans révolutionna l’art du meunier en assemblant plusieurs paires de meules sur une même plate-forme nommée " beffroi ". Son système, qui permettait un meilleur rendement, fut implanté en 1816 par les Anglais à Saint Quentin, puis à Saint Maur par M. Darblay avant que sa manufacture ne soit déplacée en 1864 à Corbeil.

Pour rémunérer son travail de mouture, le meunier était presque toujours payé en nature selon un taux qui pouvait varier de manière très sensible. Ainsi, sous le Second Empire, dans le canton de Bleymard, les frais de mouture s’élevaient au vingtième du blé apporté alors que dans l’arrondissement voisin de Marvejols la proportion n’était que d’un quarantième et que celle-ci variait entre un vingt-cinqième et un quarantième dans le canton de Mende. Mais la plupart des paysans et boulangers se référaient à la quantité de farine panifiable que le meunier leur restituait et non au volume de blé - qui est par nature de qualité variable - mis en œuvre. Aussi, un dicton occitan n’hésitait pas à affirmer " Podes cambiar de molinièr, cambiaras pas de volur ! ", c'est-à-dire " Tu peux changer de meunier, tu ne changeras pas de voleur ! ". Pour valoriser sa part, le meunier élevait des cochons qu’il pouvait vendre avec le surplus de farine.

En Lozère, durant les mois de janvier - février, le meunier écrasait également des amandes décortiquées dans ce qu’on appelait de " moulin de l’âne ", énorme meule de pierre en tronc de cône. Mêlé à du sucre, le tourteau de noix faisait le délice des enfants à la sortie de l’école. Avant la Toussaint, ce " moulin de l’âne " était également utilisé pour écraser les pommes avant de passer la pulpe au pressoir pour faire du cidre.

Les premiers moulins à vent dont il est fait mention en France datent de 1180, dans le Cotentin. On les voit ensuite en 1191 en Bretagne et en Flandre, en 1218 en Picardie, en 1269 en Bourgogne... A la fin du XVIIIe, on comptait déjà en Anjou 1.200 moulins à vent et 600 à eau, soit 5 meuniers par paroisse ! Toutefois, c’est seulement vers 1800 que le moulin à vent commença à connaître une prolifération considérable et, en 1849, on ne compta pas moins en France de 49.000 moulins à vent, soit en moyenne un moulin à vent pour trois cents habitants. Il y eut en Anjou jusqu’à 2.200 moulins à vent et 850 moulins à eau, et, dans le seul département de Seine-et-Marne, 2.000 moulins ! Au siècle précédent, lorsque les frères Cassini réalisèrent la première carte d’état-major de la France, ils utilisèrent ces moulins qui étaient placés généralement sur les hauteurs ou en terrain découvert comme repères de triangulation. La plupart de ces moulins n’étaient que de simples bâtisses en bois montées sur un pivot pouvant être orientés en fonction du vent. Ainsi, en Beauce, on comptait 150 moulins à vent sur pivot pour 20 moulins construits avec une tour en pierres.

Aux abords, voire au cœur des grandes villes, pullulaient sur les rivières des moulins -bateaux appelés également moulins flottants. Le dernier exemplaire disparut de Paris en 1840. Certains meuniers exploitaient des moulins pendants installés au milieu des fleuves, avec une roue à aubes qu’ils pouvaient abaisser ou relever en fonction du courant. Il subsiste encore deux de ces installations à Saint-Maurice, sur la Marne.

L’automne, les meules tournaient jour et nuit. Aussi le meunier devait-il réagir promptement lorsque la trémie était vide car le frottement des meules sans grain les aurait échauffées et provoqué un incendie. Soucieux et poursuivi par la peur d’être surpris par le sommeil, certains meuniers bricolaient un système d’alarme avec une clochette pour se réveiller avant tout incident.

Le meunier de l’Epinay à La Chapelle-Saint-Florent adopta le système de voilure en planches à géométrie variable mis au point en 1840 par l’ingénieur Berton et qui permettait de régler la voilure de l’intérieur du moulin selon la force du vent. Poursuivant cet effort de modernisation, l’un de ses successeurs fit installer en 1928 un moulinet d’orientation pour mettre automatiquement les ailes dans le vent lorsque celui-ci souffle trop violemment.

Mais le véritable saut technologique fut l’installation par le meunier de Villard d’une turbine capable de produire de l’électricité, ce qui permit au village de Chanac d’avoir dès 1927 l’éclairage public, alors que l’ère de la minoterie industrielle s’était ouverte avec la construction en 1913 par Ernest Vilgrain à Nancy, d’un moulin capable d’écraser 3.000 quintaux / jour, puis, en 1919, des Grands Moulins de Paris.

Dans la fantaisie musicale intitulée " Meunier, tu dors " composée par Raiter en 1928, le parolier Fernand Pothier montre le cas d’un meunier bricoleur qui avait remplacé la roue à aubes d’un vieux moulin à eau par un moteur d’automobile et qui, sûr de l’efficacité de sa trouvaille, ne se préoccupait plus du réglage de son engin. Les petits moulins avaient déjà du mal à résister à la puissance des minoteries industrielles apparues vers 1880-1890. La mobilisation en 1914 de toutes les forces masculines fragilisa encore cette activité exigeante chantée par Alphonse Daudet.

Le coup de grâce pour le métier fut porté par les meuniers eux-mêmes lorsque, le 30 octobre 1935, le Front Populaire institua par décret le contingentement pour protéger les petits façonniers avec la mise en place, l’année suivante, d’un Office des blés qui deviendra l’actuel ONIC-Office national interprofessionnel des céréales. La capacité d’écrasement des moulins était, en effet, évaluée à 160 millions de quintaux sur l’ensemble du territoire national pour un volume de blé écrasé deux fois moindre. Les meuniers durent alors déclarer leur capacité d’écrasement. Mais, craignant de nouveaux impôts, ils firent des déclarations très inférieures à la réalité et furent pris à leur propre piège. Avec l'interdiction de dépasser leur contingent, beaucoup de meuniers qui se croyaient astucieux furent ruinés et incendièrent leur moulin pour toucher la prime d’assurance... D'autres vendirent leurs droits aux grosses minoteries ou se reconvertirent dans la fabrication d'aliments pour animaux de ferme.

Ce véritable suicide n’est guère étonnant lorsqu’on connaît la réputation qu’avaient les moulins d'être habités par des gens d'une moralité douteuse. Qui plus est, une légende berrichonne voulait que le diable, ayant à choisir un métier, choisisse d'emblée celui-ci. Toujours tout de blanc vêtus, il y avait deux sortes de meuniers : ceux d'eau douce qui, assourdis par le bruit de la chute d'eau et le tic-tac incessant de la roue à aube, ne chantaient guère ; ceux qui tenaient un moulin à vent et qui, dans leur tour perchée sur les collines et sollicités par le bourdonnement des ailes, chantaient à gorge déployée à longueur de journée.

Dans les environs de Paris, l’aide du meunier qui portait le blé des boulangers au moulin et leur rapportait les sacs de farine était surnommé " chasse-mulet ". En Bretagne gaèle, ces garçons meuniers, affublés du sobriquet de " menous de pouchée ", avaient une réputation, quelquefois entachée de sorcellerie, encore pire que celle de leurs maîtres. On donnait également le nom de meuniers aux ouvriers charpentiers spécialisés qui fabriquaient les éléments de moulin ( écluses, les roues à aubes, les trémies..) et de meuliers à ceux qui élaboraient les meules.

Aujourd’hui, l’essentiel du transport de farine est effectué en vrac et la législation limite le poids unitaire des sacs à 25 kg pour éviter les accidents de travail. Or, avant la Seconde Guerre Mondiale, l’habitude était de faire des sacs de 120 kg. Les paysans ayant progressivement cessé de faire leur pain et la concurrence étant vive du fait du nombre très important de moulins, le meunier devait, avec sa charrette à cheval, ramasser le grain dans les fermes puis livrer la farine obtenue chez les boulangers, les manutentions se faisant à dos d’homme. Combien d’ouvriers seraient de nos jours capables de monter à l’échelle de meunier avec un sac de 120 kg sur le dos ?

Dans les années 1900, la ronde "C'est la fille de la meunière" était chantée dans les guinguettes de bords de Marne et au cours des banquets de mariage. Les danseurs encerclaient un couple qui, muni d'un petit tapis, choisissait un ou une élue et contre un baiser, les faisaient entrer dans le cercle, le premier couple ainsi formé réintégrant la ronde. A la même époque, un fils de meunier beauceron, Gaston Couté (1880-1911) auteur de la " Chanson d’un gas qu’a mal tourné ", déclamait ses poèmes en patois dans les cabarets montmartrois.

Boulangers

La culture des céréales remonte au moins à 5.000 ans. Les paysans du Moyen-Orient écrasaient les grains de blé et d’épeautre pour en faire des galettes sur des pierres chaudes. La tradition rapporte qu’un jour, sur les bords du Nil, une ménagère ayant oublié l’une de ses galettes à cuire, celle-ci fermenta et la pâte leva. Ainsi le hasard fut-il à l’origine du premier pain au levain. En mélangeant par souci d’économie cette pâte levée à une autre pâte à galettes, la ménagère constata que toute la pâte avait à nouveau levé. Si le pain non fermenté, considéré comme symbole de pureté, est resté un aliment rituel tant pour les juifs que pour les chrétiens, la meilleure digestibilité du pain fermenté explique son expansion régulière.

A l’origine, les Romains mangeaient le blé comme nous consommons aujourd’hui le riz, simplement cuit à l’eau, puis sous forme de bouillie. Leur expédition en Macédoine leur fit connaître le procédé de panification emprunté par les Grecs aux peuples d’Asie mineure. L’armée romaine ramena des boulangers dans leur capitale qui y fondèrent le " Collège des boulangers ". Ceux-ci ne pouvaient marier leurs filles qu’à des membres du collège ou à des hommes qui s’engageant à exercer la profession et à ne pas aliéner leurs biens.

Appelés tout d’abord " Furnarii " ou fourniers du temps de Charlemagne, ces artisans ne prirent leur nom actuel qu’au XIIe siècle. Le nom de boulanger viendrait de ce qu'à l'origine il fabriquait un pain en forme de boule ou de tourte, à moins que ce ne fut à cause du bois de bouleau qui était recommandé pour la cuisson de la pâte. On les appelait également talemeliers parce qu'ils utilisaient un tamis pour séparer la farine du son ou geindres à cause du gémissement qu’ils faisaient en pétrissant la pâte. Les halles de St Germain des Prés étaient approvisionnées les mercredis et samedis par des forains avec des gros pains pesant plus de 3 livres mais vendus à prix fixe. Ces forains étaient seuls autorisés à vendre le dimanche, sur le parvis de Notre-Dame, le pain qui leur restait de la veille.

Il est difficile de savoir depuis quelle époque les boulangers travaillent de nuit. En effet, du temps de saint Louis, faute d’éclairage, la journée commençait avec le jour et finissait avec la tombée de la nuit. A Paris, faute d’horloge, on plaçait des soldats en sentinelle sur la principale tour du Louvre, du Grand et du Petit Châtelet d’où, au lever du soleil, ils sonnaient du cor. Ce signal, nommé " guette cornée ", annonçait aux habitants de la capitale qu’il était temps de se rendre au travail. Toutefois, à titre exceptionnel et parce qu'ils ne devaient pas plus travailler le dimanche, les boulangers étaient autorisés à cuire aussitôt que cette journée s’achevait, c’est-à-dire à minuit, quand sonnaient les matines aux tours de Notre-Dame.

En 1577, Henri III ordonna à tous les boulangers de tenir en leurs fenêtres, ouvroirs ou charrettes, des balances et poids légitimes afin que chaque acheteur puisse peser lui-même son pain. Deux siècles plus tard, un code de police ajouta que ces balances devaient être suspendues à une hauteur suffisante pour éviter toute manœuvre frauduleuse sur le plateau par le vendeur. En cas de fraude, la peine pouvait comprendre une amende, la démolition des fours ou l'ordre de les murer durant un certain temps, la perte du métier, voire, comme cela arriva en 1491 à trois d'entre eux, la flagellation publique. En 1541, un autre boulanger parisien chez qui on avait trouvé des pains pesant six onces de moins que le poids légal fut condamné à faire amende honorable devant le portail de Notre-Dame, tenant un cierge d'une livre de cire, à demander pardon à Dieu et à la justice, à payer une amende de huit livres parisis et à subir une peine d'emprisonnement. En 1739, le boulanger qui fournissait le grand et le petit Châtelet fut condamné à deux mille livres d'amende pour avoir livré du pain avarié aux prisonniers.

Au moyen âge, les boulangers faisaient une grande variété de pains vendus à prix fixe, mais à poids variable. Au mois de juillet 1372, après plusieurs essais de cuissons, on décida que le pain de Chailly pèserait tout cuit neuf onces un quart (à quinze onces la livre), le pain bourgeois ou de seconde qualité douze onces et le pain de brode ou pain bis vingt quatre onces. Les pains de deux deniers pesaient le double. Le froment de première qualité valait alors douze sous à Paris. A chaque augmentation de trois sous sur le marché, les pains devaient diminuer de poids, celui de Chailly d'une demi-once, les deux autres d'une once et, inversement, le poids devait augmenter d'autant en cas de baisse de prix du froment.

Bien évidemment, les acheteurs comprenaient mal ces fluctuations et soupçonnaient à chaque fois d’être trompés. Il fallait, en effet, tenir compte de la constante variation du prix des blés et farines. Les pains étaient taxés à prix fixes (pains de 2 deniers, 1 denier et 1 obole) et on devait, suivant les cours, augmenter ou diminuer la taille du pain, ce qu'on obtenait en faisant au Châtelet des essais de rendement de pâte, en présence des boulangers et des autorités. Le prévôt réunit donc les boulangers de Paris avec ceux de banlieue jusqu'à Melun et Corbeil en 1439 pour arrêter les conditions d'approvisionnement de la ville. Lors de cette assemblée, on décida donc que, sans changer le poids du pain de première qualité, on ne ferait plus varier que son prix, indépendamment de la valeur du blé.

Les prescriptions de qualité, formes et marques gravées sur une table étaient déposées au greffe du bailliage ainsi que des pains de fantaisie dits pains façon Gonesse ou pains de la Reine. On trouvait également du "pain à chanter" sans levain, moulé en feuilles minces et découpé en grands ronds pour faire des hosties. Les ‘pains matinaux’ se servaient au déjeuner ; les ‘pains du Saint-Esprit’ étaient donnés en aumône aux pauvres dans la semaine de la Pentecôte ; les ‘pains calendaires’ étaient offerts par les paroissiens à leur curé pour les grandes fêtes et les ‘pains d’étrennes’ pour Noël alors que les ‘pains de Noël’ n’étaient qu’une redevance due par les vassaux à leur seigneur à cette date et que les ‘pains de redevance’ ou ‘pains féodaux’ étaient payés à un autre moment de l’année ; les ‘pains mollets’ étaient confectionnés avec du beurre et du lait ; les ‘pains tranchoirs’ se servaient en guise de plat ou d’assiette pour poser et couper les aliments avant d’être mangés, humectés par les sauces et jus, comme dessert.

En 1567, le boulanger du chapitre de Notre-Dame de Paris inventa un pain à la pâte si ferme que les bras ne pouvaient la pétrir. On l’appela ‘pain de chapitre’. Ce pain blanc était pétri avec les pieds et une barre de bois appelée brie. Il acquit une telle réputation qu’il fut longtemps choisi comme chef d’œuvre pour les aspirants à la maîtrise.

Dans certaines provinces, il était d’usage, pour donner du goût à la croûte inférieure du pain, de saupoudrer d’anis pulvérisé la table sur laquelle le boulanger posait la pâte. Dans d’autres, selon Olivier de Serres, les boulangers saupoudraient le dessus du pain avec de la marjolaine réduite en poudre. Ce dernier usage était si répandu que les jardiniers nîmois envoyaient les graines de marjolaine à la foire de Lyon pour être vendues dans toute la France.

Les pains mal faits ou rongés par les rats ne pouvaient être ni mis en étalage dans la boutique, ni portés le samedi à la halle ; ils devaient être vendus au rabais sur un marché particulier qui, à Paris, se tenait le dimanche entre le parvis Notre-Dame et l'église Saint Christophe. Les prud'hommes faisaient la visite chez les boulangers pour s'assurer que les pains étaient bons ; les mauvais étaient saisis et le Grand panetier condamnait le délinquant à une amende qui s'élevait, au XIIIe siècle, à 6 deniers.

Lors du sacre des rois, on présentait symboliquement aux convives des tranchoirs en pains bis qu’on distribuait ensuite aux pauvres. Quant à la distribution de pain à tous les fidèles, béni au cours de l’office, elle fut ordonnée par l’Eglise en mémoire de l’ancienne communion générale pratiquée dans la primitive Eglise, les hosties consacrées n’étant données qu’aux fidèles qui s’étaient préparés à les recevoir.

Les boulangers ne pouvaient incorporer dans leur pain que du lait et du sel pour ne pas empiéter sur l'activité des pâtissiers. Par ailleurs, ils ne pouvaient tenir qu'une seule boutique et ne pouvaient ni faire colporter, ni donner à revendre leurs pains dans la rue. Ils pouvaient cependant faire livrer leurs pains à domicile, mais couverts d'un linge.

A la fin du Second Empire, on taxait toutes les quinzaines le pain de première et de seconde qualité en partant du principe qu'un sac de farine pesant net 157 kg devrait produire 204 kg de pain. A cette même période le nom de panetier, jadis synonyme de boulanger, était réservé à la personne qui avait la garde et la distribution du pain, dans les communautés religieuses, les hospices et les collèges.

La police se méfiait beaucoup des échauffourées menées par les compagnons boulangers. Pour les cantonner au fournil, une ordonnance de 1569 leur interdit de s'assembler, de porter épées, dagues et autres bâtons offensifs. Elle leur imposa d'être continuellement en chemise, en caleçon, sans haut-de-chausses et sans bonnet en dehors des dimanches et jours chômés prévus par les statuts du métier ; lors de ces jours de sortie, ils ne devaient porter que des chapeaux, chausses et manteaux de drap gris ou blanc sous peine de prison et de punition corporelle avec confiscation des vêtements qui auraient été d'une autre couleur. Pour encore mieux les contrôler, si cela était possible, les maîtres boulangers de Paris furent les premiers à créer un bureau chargé de centraliser les offres de placement. Le clerc du bureau enregistrait les noms de tous les compagnons et répartissait ceux qui étaient libres entre les maîtres ayant besoin de main d'œuvre. Le compagnon désirant quitter son maître lui devait un préavis de huit jours.

Pour être admis maître boulanger, à moins d'être fils de maître, il fallait avoir fait 5 ans d'apprentissage comme mitron ; ensuite, le compagnon boulanger devait faire un stage de quatre ans durant lequel il payait 25 deniers à Noël comme redevance au roi représenté par son Grand panetier. A chaque paiement, il se faisait marquer sur son bâton une encoche par le receveur de la coutume. Réputé admissible lorsqu'il avait ses quatre encoches, son bâton était déposé chez le talemelier et le candidat le présentait lors de son installation. Pour marquer l'importance de ce symbole, s'il venait à le perdre, il payait une amende de douze deniers.

Lorsque l'apprentissage était terminé et que la redevance avait été payée, le récipiendaire se rendait à la maison du Maître des talemeliers devant la porte duquel les gens du métier attendaient. Le récipiendaire présentait au Maître un pot rempli de noix et de nieules (espèces de pâtisseries légères dites oublies) ainsi que son bâton. L'officier de la coutume donnait son approbation et le Maître rendaient au nouveau talemelier son pot et ses noix qu'il jetait contre le mur de la maison. Il entrait, suivi de ses compagnons. Chacun des assistants payait un denier au lieutenant du grand panetier qui était, de son côté, tenu de leur fournir le feu et le vin bu à la prospérité du nouveau confrère. Cette cérémonie avait lieu le premier dimanche de janvier. Les membres de la communauté ne pouvaient se dispenser d'y assister à moins d'envoyer un denier pour les frais du repas. S’ils ne s'acquittaient pas de cette obligation, ils pouvaient être interdits du métier durant plusieurs jours. La troisième année de sa réception, le nouveau maître devait se représenter le premier dimanche après la fête des Rois et offrir au grand panetier un pot neuf rempli de dragées avec un romarin aux branches duquel étaient suspendues des sucreries, des oranges et des fruits de saison. Cette offrande fut ensuite remplacée par un louis d'or.

Les saints patrons des boulangers parisiens furent successivement saint Pierre-ès-Liens (en référence à l’apôtre Pierre lié au chant du coq), du nom de la première confrérie. Cette fête, célébrée le 1er août, marquait le mois principal de la moisson que les talemeliers appelaient le mois d’ " Angoul-août ". Ils honorèrent ensuite saint Lazare, non pas à cause des brûlures causées par le four, mais parce qu’en 1183 Philippe Auguste racheta les privilèges de la " Maladrerie de Saint Lazare " sur des champeaux pour y ouvrir une halle aux blés et que, longtemps, les boulangers durent donner chaque semaine à sa maladrerie un petit pain, dit pain de fenêtre. Â cause de ce don, les boulangers lépreux y étaient reçus, quelque fût leur pays d'origine. Au commencement du XVIIe siècle ce don fut remplacé par une redevance hebdomadaire d'un denier parisis dite " denier de saint Lazare ", puis transformée en une redevance annuelle payée le jour de la saint Jean. Ils vouaient également une dévotion particulière à l'ancien évêque d'Amiens. Leur confrérie se réunissait en l'église Saint Honoré lorsque leurs statuts furent confirmés en 1439.

La charge de Grand panetier, qui était l'un des plus grands officiers royaux - le dernier ayant été le duc de Cossé-Brissac, cousin du roi - fut supprimée en 1711 lors de la réunion des boulangers de la ville avec ceux des faubourgs. Elle fut confiée au Lieutenant général de police, tout en laissant à l’ancien détenteur un délai de grâce de sept ans. Passé le délai de préavis laissé au duc, les nouveaux statuts stipulèrent que les boulangers de Gonesse pouvaient apporter du pain dans la capitale, mais uniquement les mercredis et samedis, jours de marché, avec la réserve que ce pain pèse au moins trois livres et ait été cuit la veille.

Comme les cordonniers, les boulangers furent exclus du droit de compagnonnage parce que, selon les autres corps d'état, ils ne savaient pas se servir d'une équerre et du compas. Ceux qui constituèrent malgré tout une association en 1817 furent appelés les ‘Rendurcis’. Le titre de compagnon leur étant ainsi contesté, on les désignait sous le nom de "soi-disant de la raclette". D'ailleurs, à la fin du XIXe siècle, les compagnons boulangers portaient des anneaux auxquels était suspendue une raclette.

A Provins, le juré du métier était nommé par l’évêque pour faire les visites de contrôle aux côtés d’un maître élu par ses confrères. A Arras, une ordonnance municipale permit en 1353 aux boulangers d'élire un chef de métier, dit maïeur, ainsi que des échevins, disposition confirmée dans les statuts octroyés en 1372 par Charles V. Tout en limitant le nombre de compagnons pâtissiers, ces statuts fixaient à 32 deniers le salaire des fourniers et 12 deniers celui des porteurs de pain. Le maïeur et les échevins étaient juges de tout ce qui se passait sur le marché au pain ; ils pouvaient saisir le pain de mauvaise qualité et le faire distribuer aux pauvres.

Les boulangers montpelliérains obtinrent leurs statuts en 1400.

A la veille de la Révolution, les maîtres boulangers n'étaient plus que 80 à Nantes alors qu'ils étaient 144 à tenir boutique en 1731. Toutes les corporations ayant été dissoutes par la Constituante, ils constituèrent une association en 1817 et s’attribuèrent le titre de compagnons, titre qui leur fut vivement contesté par les compagnons qui maniaient le compas et l’équerre. Ceux d’Ille et Vilaine ont confectionné des " brioches de mariage " jusqu’aux environs de 1930. Selon leurs statuts de 1450 confirmés en 1566, ceux de Rennes devaient façonner, pour chaque fournée de pains, un tourteau raisonnable dit " tourteau Dieu " destiné aux pauvres de l’hôpital ou aux ménagiers de la confrérie. Le candidat à la maîtrise devait justifier de 4 années d’apprentissage et verser deux mines de froment à la confrérie.

Les confréries alsaciennes assuraient à chaque compagnon boulanger malade un lit à l’hôpital. A son admission, le malade devait se confesser avant de recevoir le Saint Sacrement. Son lit devait être changé en tant que de besoin pour rester propre. Il lui était servi à chaque repas un cruchon de vin, du pain en suffisance, une bonne écuelle de soupe avec autant de viande, d’œufs ou de poisson qu’à un autre malade.

En période de disette, les boulangers étaient soupçonnés comme les meuniers, voire accusés d'en être la cause en accaparant les grains et la farine. C'est ce qui explique le pillage des boulangeries du faubourg Saint-Antoine en juillet 1725. Par précaution, la municipalité du Havre leur ordonna en 1757 d'avoir toujours trois jours de pains cuits d'avance sous peine de carcan durant la même durée et 3 livres d'amende. La populace avait tôt fait d'exercer une justice expéditive ; ainsi, le 20 octobre 1789, ayant été accusé par une femme d'avoir caché une partie de sa fournée, un boulanger parisien de la rue du Marché-Palu fut pendu sans autre forme de procès à un réverbère de la place de l'Hôtel de Ville.

Jusqu'en 1914, on voyait en ville nombre de femmes vêtues d’un tablier bleu qui étaient employées par les boulangers comme porteuses de pain chaud à domicile comme il y a aujourd’hui des livreurs de pizzas. Elles constituaient alors un spectacle aussi familier dans nos villes que celui des livreurs de lait dans les rues londoniennes. Connaissant les goûts de chacun, elles allaient d'immeuble en immeuble, d'étage en étage, déposer le pain boulot, le polka, le fendu ou la flûte souhaité par tout un chacun et enveloppé dans du papier bulle. La porteuse de pains livrait gratuitement à domicile, le client venant payer chaque semaine au boulanger. Celui-ci utilisait alors une carte de crédit en bois, la "taille" constituée, pour éviter toute contestation, de deux planchettes. La porteuse prenait les deux tailles, les appliquait l'une contre l'autre et, avec un couteau, faisait une ou plusieurs encoches correspondant au nombre de pains livrés. La porteuse de pain gardait la "souche" tandis que "l'échantillon" restait entre les mains du client.

Les boulangers ne fournissaient, en fait, que les habitants des villes. Vers 1880, dans les campagnes, la maîtresse de maison aisée cuisait elle-même son pain dans le fournil attenant à la maison. Les paysans et les familles peu aisées des villages, soit 8 Français sur 10, faisaient soit chez eux ou dans un four communal hérité des seigneurs dit " four banal ", soit faisait faire à façon par un fournier, ce qu’on appelait du pain de ménage. Le four du village n’était chauffé qu’une fois par semaine et les ménagères enfournaient leurs pains à tour de rôle. Elles cuisaient de grosses miches pour huit ou quinze jours et les mettaient en réserve sur des clayons suspendus au plafond. Sachant la peine exigée pour le produire, chacun avait un pieux respect pour le pain. Son entame était une véritable cérémonie et en jeter un morceau était considéré comme un sacrilège.

Le levain de pâte, conservé entre chaque fournée hebdomadaire, était le plus souvent trop acide et à moitié pourri. De plus, le paysan utilisait la farine du blé qu’il avait récolté et fait moudre par le meunier " au petit sac ", c’est-à-dire grossièrement. Dans ces conditions, le pain obtenu était de très médiocre qualité. La mobilisation des hommes en 1914 bouleversa ces habitudes et incita à un recours accru aux boulangers.

Toute personne qui a pétri de la pâte, pour faire ne serait-ce que de la pâtisserie, sait que cette tâche exige un effort physique intense. " Gagner son pain à la sueur de son front " dépeint bien la réalité. Un boulanger parisien nommé Salignac imagina en 1760 un premier pétrin mécanique, mais celui-ci n’était pas très efficace. Plusieurs de ses collègues, Cousin, Lambert et Fontaine, proposèrent divers aménagements mais, faute de force motrice disponible à l’intérieur des villes, ces pétrins ne furent guère utilisés. On ne comptait ainsi en 1840 que 130 pétrins mécaniques dans la France entière. En fait, seul le pétrin mécanique ouvert inventé en 1860 par Boland s’avéra réellement efficace. Il fut d’ailleurs utilisé jusqu’en 1876 à la boulangerie centrale des hôpitaux de Paris avant d’être remplacé par celui mis au point par M. Deliry-Desboves, boulanger à Soissons. Finalement, c’est la diffusion de l’électricité qui permit l’emploi généralisé de cette machine en moins d’un siècle.

Au fil des années, le progrès technique diffusé par l’école nationale de boulangerie créée en 1929 par Ernest Vilgrain, créateur dix ans auparavant des Grands Moulins de Paris, ainsi que la mécanisation ont rendu le travail moins pénible et moins astreignant. Dès 1930, les façonneuses permirent l’allongement des baguettes de pain ; en 1950, les diviseuses hydrauliques volumétriques ont facilité le pesage en fractions identiques mais, surtout, à partir de 1960, les chambres de fermentation à pousse contrôlée ont permis la suppression partielle du travail de nuit. Cette évolution à accéléré la disparition des petits ateliers et de ceux qui n’avaient pas investi. Ainsi, alors qu’on comptait encore 1.466 artisans boulangers dans Paris en 1984, dix ans plus tard ils n’étaient plus que 1.290 à résister aux terminaux de cuisson de pains surgelés industriels installés dans les grandes surfaces d’alimentation.

Un modeste mitron, André Raimbourg (1917-1970), s’est fait remarquer en 1939 lors d’un radio-crochet. Il a commencé alors une brillante carrière de chanteur et d’acteur comique sous le pseudonyme de Bourvil

Vermicelliers

Emile Martin mit au point en 1860 un procédé mécanique de séparation de l’amidon et du gluten des céréales. Or, le gluten est une matière première intéressante qui permet d’enrichir et de rendre plus plastique la farine. Les amidonniers se firent alors simultanément vermicelliers. Pour exercer les tâches de ce métier, comme les boulangers, l’ouvrier travaillait la poitrine nue. On disait qu’un bon pétrisseur devait avoir constamment le dos ruisselant de sueur durant son labeur. Aussitôt le frasage terminé, le vermicellier étalait la pâte dans le pétrin, la recouvrait d’une toile, la piétinait quelques minutes pour l’agglomérer et la durcissait en s’appuyant sur la " barre à sauter ". Ce travail très physique fut supprimé par le pétrin mécanique conçu par M. Deliry et qui pouvait être mû par un cheval. Le vermicellier laminait ensuite la pâte et la pressait pour façonner les vermicelles et macaronis.

Des artisans fabriquaient des pâtes alimentaires de 80 cm de long avec de la semoule de blé tendre jusqu’à ce qu’un atelier lyonnais -que les cousins Rivoire et Carret avaient créé en 1860- utilise la semoule de blé dur. C’est dans ce même atelier que fut mis au point en 1922 la " carette ", la première presse mécanique à macaroni

Pâtissiers

Ayant un four et de la farine, les boulangers se trouvaient outillés pour faire de la pâtisserie et, dès la constitution en 1440 de la confrérie des pâtissiers, ils furent admis à leur maîtrise. En 1567, sous l'impulsion de Louis XI, les pâtissiers furent distingués des oubloyeurs ou fabricants d'oublies et des pâtissiers de pain d'épices. Commençant à fabriquer les premières glaces, la pâte à choux et les pithiviers, ils devaient effectuer un apprentissage de 5 ans.

Les pâtissiers paraissent avoir été parmi les premiers à s'être ingéniés à attirer les chalands et à stimuler ce qu'on appellerait aujourd'hui les achats d'impulsion. Vers 1567 et jusqu'à la fin du siècle suivant, leur enseigne était une lanterne ornée de personnages fantastiques ou grotesques. Ils éclairaient leur boutique avec des lampions ornés de figures fantasmagoriques représentant en ombres chinoises des guenuches, des éléphants et des chasses au renard. Un dénommé Antonin Carême rédigea alors le premier ouvrage de pâtisserie moderne, "Le Pâtissier Royal", qui confirme l'importance du beurre dans la pâtisserie. Par ailleurs, jusqu'en 1900, les rues et les allées des jardins publics étaient sillonnés par des pâtissiers ambulants qui vantaient les petits pâtés chauds, échaudés, gaufres et petits choux.

On se gausse quelquefois, aujourd'hui, de quelques restaurants soupçonnés de mettre du chat à la place de lapin dans les plats qu'ils proposent à la clientèle. A la fin du XIVe siècle, un fait divers des plus sordides défraya la chronique parisienne. Un barbier étuviste et un pâtissier tenaient une boutique Rue des Marmouzets. Tous deux avaient une bonne renommée. Le pâtissier n'exposait jamais de pâtisserie rance ou réchauffée et ne vendait qu'à des gens honnêtes. On appréciait particulièrement les pâtés qu'il préparait lui-même et malgré l'importance de son activité, il n'avait qu'un apprenti pour préparer la pâte afin, selon lui, de cacher le secret de l'assaisonnement des viandes. Quant à son voisin, à peine ses aides allaient-ils crier par les rues : " les bains sont chauds ! " que la foule se précipitait et son étuve était rapidement comble ! Le barbier connaissait les drogues comme un physicien et excellait dans l'art de la chirurgie. Cependant, des bruits circulaient de temps à autre, que la nuit, des étrangers étaient massacrés dans la rue des Marmouzets et on montrait du doigt le sang dans le caniveau. Ce ne pouvait être le barbier qui aurait été puni de prison et d'amende s'il avait été surpris à jeter le sang des saignées. Or, un soir, on vit sur le seuil de son laboratoire, un étudiant allemand se traînant, le cou mutilé de larges blessures. Celui-ci raconta comment le barbier l'avait attiré en lui promettant de le raser gratis et qu'il parvint à échapper à son égorgement. Les passants pénétrèrent dans les lieux, découvrirent une trappe dans la cave qui menait à une cave commune à la boutique voisine. Ils y découvrirent le pâtissier en train de dépecer… le corps de son complice qu'il n'avait pas reconnu en l'égorgeant. C'est ainsi qu'il composait ses pâtés ... En punition de son crime, sa maison fut rasée et une pyramide expiatoire fut élevée à la place.

La confrérie des pâtissiers était placée sous le patronage de St Michel. Le métier fut admis en tant que tel pour la première fois dans le compagnonnage en 1899 lors de la création de l’Union Compagnonnique. Il avait toutefois déjà été reconnu dès 1811, mais comme étant rattaché à celui des cuisiniers. Par ailleurs, moins d’un siècle après la suppression des confréries corporatives, les pâtissiers reconstruisirent une structure de solidarité avec la création en 1868 de la société mutuelle " Saint Michel ". Celle-ci proposait à ses adhérents une assurance maladie, organisait des concours, plaçait les jeunes apprentis et publia, à partir de 1891, une revue bimestrielle " Le Pâtissier moderne ". Elle est devenue une véritable chaîne d’entraide internationale, du commis au chef pâtissier français, qu’il travaille en province, à Paris, à Marrakech, à Séoul ou en Amérique.

Les oublayers, oublayeurs et oublieurs étaient des pâtissiers qui ne faisaient pas de pâtisseries grasses. Ce titre dérivait des obles ou hosties -oblats- qu'ils étaient seuls autorisés à façonner. Lors des jours de pardon, de pèlerinage et de procession du jubilé, les oublayers débitaient une quantité prodigieuse de pâtisseries au sucre et aux épices enjolivées d'illustrations et d'inscriptions pieuses qu'on appelait gaufres à pardon. Ces jours là, ils installaient leur fournaise autour des églises.

Ces artisans devaient être des hommes réputés de bonnes mœurs. Il leur était défendu d'employer une femme pour faire le pain destiné à célébrer l'eucharistie. Ils étaient par ailleurs tenus d'utiliser de bons œufs et avaient le privilège de pouvoir travailler le dimanche.

Préposés à la confection des hosties, les successeurs des oublayers diversifièrent leur production aux pâtisseries destinées aux gens d’église : les échaudés destinés aux clercs lors de certaines fêtes, les nieules qu’on jetait des tours des cathédrales ou de la voûte de la nef avec des feuilles de chêne et des étoupes enflammées en chantant le ‘Veni Creator’ ou qu’on attachait aux pattes d’oiseaux lâchés dans les églises pendant le ‘Gloria in excelsis’. Les jours de procession, de pèlerinage ou d’indulgence, les oublieux s’installaient autour des églises et vendaient aux fidèles des gaufres à pardon coulées dans des moules spéciaux représentant des sujets de piété. Leur pâtisserie sèche et légère était si recherchée au XVIIe siècle que les oublieux, membres avec les talemeliers de la confrérie de St Honoré, finirent par se spécialiser dans sa production. Une pâtissière, la Signoret, fut mise à la mode par la marquise de Pompadour après que celle-ci eut arrêté son carrosse à la hauteur de son étal pour goûter ses oublies en lui disant simplement " Ton plaisir est fort bon…"

L'usage était de faire livrer les oublies à domicile après souper. Le couffin sur le dos, marchant seuls par suite d’une ordonnance de police, les oublieux colportaient leurs oublies jusqu’à une heure avancée de la nuit, au risque de faire de mauvaises rencontres dans les rues transformées par les marauds et jeunes débauchés en véritables coupe-gorge. Par analogie, pendant la Fronde, on donna le surnom d’oublieux aux seigneurs qui parcouraient les rues de Paris la nuit pour se rendre en cachette du palais Royal au palais du duc d’Orléans tramer des intrigues contre Mazarin. En 1721, par suite de l’amalgame qui était fait entre les colporteurs d’oublies et les bandes de voleurs menés par Cartouche, il leur fut interdit de courir la ville de nuit, ce qui entraîna la disparition du métier. Ils furent alors remplacés par des marchandes de plaisir qui déambulaient dans les rues pour vendre à la criée des gaufres et des bonbons. A la fin du Second Empire, la plus réputée d'entre elles, la mère Plaisir, une grande et grosse femme toujours de bonne humeur, vendait ses douceurs sur le boulevard Saint-Michel.

A Annonay, le seul jour du jeudi-saint, les pâtissiers avaient l’habitude de façonner un biscuit en forme d’agneau pascal avec de la laine en meringue. Ils déposaient sur l’autel cet agneau qui n’était consommé qu’après une longue procession à travers la ville jusqu’au " reposoir ".

En Champagne, les pâtissiers de Troyes fournissaient au bourreau deux maillées d'échaudés chaque samedi de carême.

Les crêpières quimpéroises que l’on voit encore si nombreuses furent incapables de faire des crêpes au sarrasin avant le XVIe siècle. Cette céréale d’origine asiatique était, en effet jusqu'alors, inconnue en Bretagne. Marie-Catherine Cornic, crêpière installée rue des Gentilshommes à Quimper et appelée familièrement Katell, aurait créé les crêpes dentelles en 1886. Grâce à un tour de main hors du commun, elle fabriquait des crêpes d’une extrême finesse. Une bonne crêpière pouvait cuire à la poële 125 crêpes à l’heure mais, dès 1936, elle fut dépassée par la machine capable de les produire en cinq minutes.

Pains d’épiciers

Tous les textes s'accordent pour reconnaître que le pain d'épices nous arrive de Chine où le " mikong " - littéralement pain de miel - se composait déjà de farine de froment et de miel, parfumé ou non de plantes aromatiques. Gengis Khan le donnait à ses cavaliers comme ration de guerre. Les moines de l’abbaye parisienne de Saint Antoine-des-Champs, qui avaient pour habitude de confectionner des pains à base de seigle, de miel et d’épices pour les affamés, obtinrent le droit de vendre leur production durant la semaine de Pâques. A partir de 1719, ils organisèrent une foire au pain d’épices dans l’enclos des Dames avant qu’en 1806 elle ne déborde sur la voie publique en s’étendant sur le cours de Vincennes. A cette époque, on achetait du pain d’épices pour faire " maigre " pendant la Semaine Sainte. Des saltimbanques venant se greffer sur l’évènement, la fête du pain d’épices était née avant d’être rebaptisée la Foire du Trône.

Les artisans exerçant le "mestier de pain d'épiciers" se désignaient eux-mêmes sous le nom de pâtissiers-sucrés pour se distinguer des pâtissiers de graisse et de viandes. A Paris, une vingtaine d'entre eux constituèrent en 1596 une communauté avec 4 jurés chargés de faire les inspections dans la ville et ses faubourgs. Leur nombre oscilla ensuite entre 6 en 1725 et 15 vingt ans plus tard. L'apprentissage durait 4 ans ; l'obtention de la maîtrise était assujettie à la "panisation" d'une masse de pâte de 200 livres (correspondant à la capacité du four) parfumée à la cannelle, à la muscade ou aux clous de girofle, puis à la mettre en pains. La composition, la forme et le poids des pains d'épices variaient suivant la fantaisie de l'artisan. On en faisait de toutes tailles, depuis douze à la livre jusqu'à un seul de 20 livres, en carré, en cœur, en losange, agrémentés de dragées, d'écorces de citron, de pastilles ou d'anis. Alors qu'à Paris et à Dijon -où on l'appelait le "boichet"- le pain d'épices était fabriqué avec de la farine de froment, on utilisait à Reims de la farine de seigle pour façonner un pain d’épices qui fut, jusqu’au XIXe siècle, le seul à avoir une renommée nationale.

Les pains d'épiciers de Reims eurent leurs statuts en 1571. Pour être admis à la maîtrise, les apprentis devaient façonner un pain d'épice de six livres en présence des maîtres jurés. La foire aux pains d'épice s'ouvrait durant la semaine de Pâques. Les pains d'épiciers faisaient des pains en forme de monuments, de bonhommes, d'animaux avec des inscriptions facétieuses ou un nom de baptême permettant d'offrir un petit animal au nom du bénéficiaire. En revenant de la foire, beaucoup portaient leur pain d'épice suspendu au cou par une ficelle.

Dans son Almanach des gourmands publié en 1806, Grimod de La Reynière, affirme que le plus habile fabricant de pain d’épices de Paris était alors un dénommé Hémard qui n’employait que du miel du Gâtinais.

Comme les autres corporations, celle des pains d’épiciers a été dissoute par l'Assemblée Constituante et l'accès du métier fut libéralisé. Néanmoins, la tradition peut se transmettre de génération en génération au sein d'une famille sans avoir le cadre d'un règlement. Ainsi, l'un des fabricants dijonnais actuels du "pain de santé" qui pèse 6 kilos, monsieur Petitjean, a un aïeul qui exerçait déjà le métier en 1796 dans la capitale bourguignonne ...

Biscotiers et biscuitiers

Ingénieux autant qu'économe, Charles Heudebert refusait de perdre le pain invendu. S'inspirant de pratiques familiales, il résolut en 1903 de créer un atelier spécialisé pour le débiter en tranches et de le griller afin d’en faire ce qu’il appela des biscottes, devenant ainsi le premier biscotier de France.

Pour satisfaire la demandes des marins au long cours et des militaires, les artisans boulangers de Paimboeuf, Bordeaux, Nantes, Honfleur, Saint-Servan près de Saint-Malo, Eu et Varennes faisaient des pains cuits deux fois et appelés biscuits, à l’image du biscuit de Reims actuel. Alors que la société britannique Carr avait mis au point dès 1815 des procédés mécaniques de fabrication et que le pâtissier Romain Lefèvre fabriquait encore manuellement ses petits-beurre en 1846 pour les vendre sur le marché du Bouffay, il fallut attendre 1862 pour qu’un boulanger bordelais dénommé Jean-Honoré Olibet introduise ces techniques modernes en France.

Suivant les traces des biscuitiers anglais, la fin du XIXe siècle vit à Nantes la création de plusieurs usines avec Lefèvre-Utile et son petit-beurre LU en 1886 ou la Biscuiterie Nantaise et son fameux " choco BN " en 1896. Le développement de cette activité industrielle fut alors très rapide : en trois ans, le nombre de personnes employées par Lefèvre-Utile passa à 130 ouvriers pour atteindre 1.200 à la veille de la Première guerre mondiale. Mais, déjà, la spécialisation des postes de travail et le déséquilibre entre hommes et femmes s’imposèrent. L’embauche était faite en prenant en compte une expérience de boulanger ou de pâtissier pour la fabrication des biscuits secs ; les postes aux pétrins et aux laminoirs, celui de fournier (qui surveillait la cuisson des biscuits) ou de chef de four, ainsi que le poste de chef de machine à la découpeuse exigeant une expérience de mécanicien, étaient toujours des postes d’hommes.

Le laminage se faisait à la main. Outre la connaissance de la pâte, le travail du lamineur exigeait de la force physique pour manipuler des pâtons de 15 à 20 kilos et, avec les premiers laminoirs, l’ouvrier devait tirer sur la toile du laminoir pour faire passer le pâton entre les cylindres. De même, avec les fours à charbon, le chauffeur et son aide n’était pas à la fête pour approvisionner les foyers

Les femmes occupaient toutes des postes sans qualification reconnue, allant " à la voltige ", d’un endroit à l’autre de l’atelier, ou exécutait des tâches répétitives comme la dépose des pâtons sur la découpeuse ou le fleurage des pâtons ; certaines enlevaient les rognures, une autre actionnait un levier au passage de la couture de la toile, ce qu’elle appelait " lever la queue ", pendant que d’autres enfournaient les grilles de biscuits découpés, puis les sortaient pour les déposer sur un chariot.

Aux dires des ouvrières, car les équipes n’y étaient que féminines, c’est l’atelier d’emballage qui occasionnait le travail le plus pénible parce qu’il s’effectuait, été comme hiver, dans l’humidité la plus totale : il fallait laver les boîtes de fer blanc consignées, gratter les étiquettes et en recoller d’autres. La reprise et le nettoyage des boîtes de biscuits se poursuivirent jusqu’en 1955

Amidonniers

Avant le XVIIIe siècle, les amidonniers faisaient partie de la communauté des épiciers-apothicaires. En 1744, une quarantaine d’amidonniers reçurent des lettres patentes les érigeant en corporation particulière. Ces lettres furent enregistrées deux ans plus tard par le Parlement malgré l’opposition des gantiers, des parfumeurs et des épiciers-apothicaires. Aux termes de leurs statuts, l’apprentissage durait 3 ans et ils devaient travailler 2 ans chez les maîtres avant d’être admis à réaliser " un cent d’amidon parfait " comme chef d’œuvre. Il leur était par ailleurs défendu de vendre de l’amidon en poudre, ce commerce étant réservé aux gantiers, ni de posséder un outil permettant de réduire l’amidon en poudre.

Selon Pline l’Ancien, l’amidon aurait été préparé pour la première fois dans l’île de Chio. Depuis les Grecs et les Romains, et jusqu’à ce qu'en 1860 Emile Martin propose une solution mécanique, le procédé employé était très simple : les amidonniers concassaient les céréales et mettaient à macérer la farine dans l’eau pour que le gluten se décompose. Ensuite, ils lavaient et laissaient se déposer l’amidon sur des lits de plâtre absorbant, puis le séchaient dans des étuves chauffées par des poêles. A la suite de plusieurs mauvaises récoltes et du renchérissement des céréales, ils recherchèrent d’autres matières premières (pommes de terre, marrons d’Inde...).

En prévision des famines qui frappaient régulièrement la France, les amidonniers n’avaient pas le droit d’utiliser les bons grains. Par ailleurs, pour faciliter la perception des impôts, ils ne devaient que des tonneaux susceptibles d’être jaugés et qu’ils devaient déclarer au préalable à toute opération. La farine ne devait pas être mise à macérer plus de trois semaines et devait, ensuite, être passée au tamis de crin dans l’ordre de déclaration des tonneaux. Le tamisage était opéré en présence d’un commis qui faisait le constat aux frais du fabricant. La profession était incompatible avec celles de meunier, de boulanger et de perruquier ; de plus, les enfants qui résidaient chez leur père amidonnier ne pouvaient embrasser ces professions.

Alors qu’ils exportaient chaque année 2.000 tonnes d’amidon sous le Second Empire, les amidonniers français ne purent, finalement, soutenir la concurrence de leurs collègues de Londres et d’Anvers qui extrayaient l’amidon du riz des Indes, puis des Américains l’extrayant du maïs.

Si le pharmacien Parmentier avait montré dès 1773 tout l’intérêt nutritif de la pomme de terre, ce n’est qu’en 1810 qu’on commença à en extraire la fécule grâce à l’épierreur conçu par Joly, à la râpe de Champonois et au tamis de Huck assemblés et construits par le mécanicien parisien Charles Touaillon. Le développement de la culture de pommes de terre permit aux féculiers de prospérer jusqu’à nos jours mais, à cause de l’odeur dégagée par la putréfaction de la farine et qui émanait de leurs ateliers appelés " trempis ", il leur était interdit de s’établir à l’intérieur des villes

Bouchers

La communauté de 31 bouchers parisiens établis dans la Grande Boucherie située entre le parvis Notre Dame et l'église St Pierre aux Bœufs, puis entre l'église St Jacques et le Châtelet, a vu ses statuts homologués par une charte de Louis VII en 1162. Celle-ci constitue la première reconnaissance d'une communauté ouvrière en France.

Le maître de la communauté était élu à vie et ne pouvait être destitué qu'en cas de prévarication. Il était assisté d'un procureur et d'un syndic. Contrairement à leurs confrères d’Amiens qui se contentaient d’une lettre du suzerain déclarant un boucher prud’homme et loyal pour admettre son installation dans la capitale picarde, nul ne pouvait, à Paris, être boucher de la Grande Boucherie s'il n'était fils de boucher. Son étal ne pouvait être sous-loué, le boucher devant l'exploiter lui-même ou par l'intermédiaire de ses compagnons. Si les 31 étalages étaient implantés sur le domaine royal, ils furent loués dès le XIIe siècle aux 4 familles Thibert, Saintyon, d'Auvergne et Ladehors qui en étaient encore les bénéficiaires cinq siècles après... En sa qualité d'héritière de la famille d'Auvergne et arguant de l'absence d'héritier mâle, Madame de Montespan tenta en vain d'en demander le bénéfice en 1686. Ces quatre familles avaient failli perdre leur privilège lorsqu'en 1416 le roi décida de faire démolir la Grande Boucherie qui menaçait ruine afin de la remplacer par 4 boucheries royales. Mais, profitant du retour en grâce du duc de Bourgogne, ils obtinrent que la Halle de la Grande Boucherie soit reconstruite sur place.

Il y avait à Paris plusieurs communautés, dont une sur la montagne Sainte Geneviève aux statuts homologués en 1295 qui rassemblait 14 bouchers. Les autres bouchers installés en ville, que ce soit à Saint Marcel, Saint Germain-des-Prés, Saint Martin des Champs ou au Temple, ne jouissaient d'aucun privilège.

Henri II supprima en 1551 le maître élu des bouchers et lui substitua un office de chef des bouchers de Paris dont le premier titulaire fut Jehan Pot, maître juré de la Grande Boucherie. Outre celle-ci qui regroupait alors 29 étaux, il y avait 47 autres boucheries dans la capitale, dont celle dite de Beauvais créée en 1416 rue St Honoré avec 28 étaux et constitué en métier juré distinct aisni que celle du faubourg Saint-Germain créé en 1370 avec 22 étaux.

Les bouchers d'Amiens reçurent leurs statuts en 1282 de la municipalité qui les confirma en 1317 et 1327. Leur bannière était placée sous la direction de deux maïeurs assistés d'officiers gardes du métier appelés eswards avec un conseil de vingt prud'hommes pour juger les délits professionnels. La corporation amiennoise était assez libérale puisqu'il suffisait à tout boucher venu de l'extérieur de justifier par une lettre de son seigneur qu'il était prud'homme et loyal pour qu'il soit admis à s'installer dans la ville. Chez les bouchers d'Arras, qui formait un métier fermé où on se succédait de père en fils, le maïeur était désigné au sort d'une manière originale : quatre boules de cire étaient placées dans une urne. Etait désigné celui qui tirait la boule portant l'inscription "Jesus, Maria".

A Cambrai, lors de son admission à la maîtrise, le nouveau boucher devait offrir quatre banquets d’un coût allant de 20 à 140 florins, le dernier, auquel étaient conviées les femmes des autres maîtres, devant représenter une valeur de 70 florins.

Par lettre patente de Henri III datant de 1587, toutes les boucheries de Paris furent réunies en une seule corporation. La maîtrise devint accessible à 28 ans après 3 années consécutives d'apprentissage, 8 années de compagnonnage et la réalisation d'un chef d'œuvre consistant à habiller un bœuf, un mouton, un veau et un porc. Le fils de boucher pouvait être maître dès l'âge de 18 ans tout en étant exempté de cette épreuve qui se passait devant un jury de 4 maîtres élus par leurs pairs pour deux ans. Le maître des bouchers parisiens était désigné à vie par douze électeurs choisis parmi les maîtres bouchers. Il s'asseyait au milieu de la grande salle de la halle et on faisait brûler devant lui un grand cierge pour lui rendre hommage.

La maîtrise était indispensable pour s'installer. Un maître ne pouvait embaucher un compagnon premier ou second d'étal sans l'accord écrit de son employeur précédent et sans que cet ouvrier ait achevé l'année allant de Pâques au carême. Ce compagnon devait laisser passer un délai de 2 ans avant de revenir travailler dans un quartier, même pour s'y installer, à moins qu'il ne se soit marié avec la fille ou la veuve d'un maître du lieu.

Pouvant exploiter simultanément jusqu'à trois étalages, les maîtres bouchers avaient le monopole pour tuer, habiller, préparer dans leurs échaudoirs et vendre à l'étalage bœufs, veaux et moutons sous peine de confiscation des marchandises au profit pour moitié de la communauté des bouchers et l'autre de l'hôtel-Dieu. Les rôtisseurs, pâtissiers, taverniers et hôteliers ne pouvaient utiliser que des viandes achetées aux bouchers.

La corporation des bouchers parisiens était admise aux entrées des princes et des légats à la condition de supporter les frais d'habillement, de draperie et de tentures. Ils reçurent même, sous forme de remontrance, l'ordre de "faire ébattement à l'entrée d'Anne de Bretagne". Leur communauté était placée sous le patronage du St Sacrement.

Les bouchers forains vendant du porc frais à la halle de la ville les mercredis et samedis étaient soumis eux aussi à de fortes contraintes. Ils ne pouvaient pénétrer dans Paris qu'avec des carcasses coupées à la seconde côte, au-dessus du rognon, sans jambons, lards fumés, cervelles, boudins, saucisses, andouilles, langues et autres marchandises de porc cuites, salées ou crues. Ils n'étaient pas autorisés à remporter les invendus et, à partir de 4 heures de l'après-midi, ils devaient les écouler à vil prix sous peine de confiscation et d'amende !! Ils étaient cependant autorisés à remporter chez eux les produits cuits ou salés invendus après le troisième marché...

Les bouchers d'Epinal eurent leurs statuts corporatifs en 1478. A la tête du métier étaient placés un maître et deux jurés élus, assistés d'un greffier et d'un sergent. Ceux de Chartres eurent, quant à eux, leurs statuts en 1418.

En Champagne, à la fin de sa réception comme maître boucher, celui-ci devait jurer de ne pas enfreindre les règlements de sa corporation, serment qu'il devait renouveler chaque Jeudi Saint. Le récipiendaire donnait au maître du métier une paire de chausses et offrait un banquet à ses confrères.

Faisant remonter, selon la tradition, leur confrérie à un collège romain, les bouchers de Limoges se transmettaient de père en fils le droit d'exercer leur métier.

Hormis la période révolutionnaire et jusqu'en 1871, il était coutume, dans les rues de la capitale et de nombreuses villes de province, de promener un bœuf gras pendant les trois jours de carnaval qui précédaient le carême. On peut voir, sous la représentation de saint Barthélemy, leur patron, une illustration de ces festivités à Bar-sur-Seine, sur un vitrail donné en 1512 par la confrérie locale des bouchers. A Morlaix, cette promenade était faite dans les premiers jours de l'Avent ; le bœuf gras était escorté par tous les membres de la corporation, bras nus et une hache sur l'épaule. A chaque carrefour, les bouchers faisaient la quête après que l'un des leurs ait fait le simulacre d'abattre la bête.

Au moyen âge, les bouchers couronnaient de feuillage la viande des animaux fraîchement tués. Cette tradition se limita progressivement au jour de Pâques, jour qui ramenait le droit de consommer de la viande car sa consommation n'était autorisée durant le carême que le dimanche. A Douai, à la veille de la Révolution, la nature des viandes exposées à la vente était indiquée par des banderoles de couleur : verte pour la viande de bœuf, rouge pour celle de taureau, blanche pour la vache, jaune pour la brebis et bleue pour celle de mouton.

Ayant remarqué que les viandes les plus corrompues paraissaient très blanches et plus fraîches à la lumière, certains bouchers entretenaient dans leurs étaux un grand nombre de chandelles allumées, même en plein jour ; pour limiter cette pratique, une ordonnance de 1399 fixa les heures pendant lesquelles ils pouvaient éclairer à la chandelle. Par ailleurs, il fut interdit en 1668 aux bouchers de descendre de leurs étaux pour appeler et arrêter les chalands. Comme chez les boulangers, les ménagères achetaient "chair sur taille", c'est-à-dire en marquant sur une taille, par des crans ou des encoches, la quantité de viande prise chaque fois.

Pour s'approvisionner, le boucher avait des pratiques analogues à celles du maquignon. Après avoir fait le tour du marché et une fois la négociation terminée avec le propriétaire de l'animal, il découpait avec un ciseau ses initiales sur le poil de la bête. Lorsqu'il voulait l'abattre le jour même, il la marquait en plus d'une raie transversale sur les côtes.

Les comportements frauduleux ont, depuis toujours, pu être le fait de hauts responsables de la profession. Ainsi, en 1716, Antoine Dubout, greffier des chasses de Livry, mais surtout directeur des boucheries des armées, fut condamné à faire amende honorable en chemise de nuit, la corde au cou, avec une torche allumée de deux livres entre les mains devant la porte principale de Notre-Dame de Paris et celle du couvent des Grands-Augustins ; il portait devant lui et dans le dos un écriteau portant la mention "directeur des boucheries qui a distribué des viandes ladres et mortes naturellement aux soldats" et devait déclarer à haute et intelligible voix que méchamment et mal avisé, non seulement il était l'auteur de ces méfaits mais également qu'il s'était servi de fausses balances romaines pour peser ces viandes, qu'il avait fait vendre à son profit des bœufs malades morts en route et qu'il avait facturé au roi un bien plus grand poids que l'estimation qu'il en avait faite.

Pour garantir que la viande provenait d’une bête saine, une ordonnance de Philippe de Valois interdit aux bouchers du Mans de vendre de la viande à leur porte s’il n’y avait pas au moins deux témoins pour affirmer avoir vu l’animal vivant. Ainsi la traçabilité souhaitée aujourd’hui par le consommateur était-elle assurée ! De leur côté, la communauté des bouchers d’Angers possédait des pâturages pour engraisser les animaux avant de les abattre. Pour éviter une concurrence excessive, le roi Jean accorda en 1361 aux bouchers de cette ville que leur maître n’admette de nouveaux bouchers que tous les sept ans après avoir consulté les anciens. A sa réception, s’il était fils de boucher, le récipiendaire devait offrir au maître du métier une mesure de suif et la chair d’un lièvre ; si ce n’était pas le cas, la redevance était fixée selon la bonne volonté du maître…

Les principaux marchés auxquels s'approvisionnaient les bouchers parisiens furent pendant des siècles ceux de Sceaux et Poissy. Des intermédiaires s'établirent dès le XIVe siècle entre les bouchers de Paris et les marchands forains. Le prévôt de Paris détermina en 1375 les attributions de ces maquignons vendeurs de bétail et les soumit à une caution. Cette institution de jurés vendeurs fut étendue à toute la France en 1606. Ils étaient tenus de faire l'avance du prix des animaux aux bouchers en prenant une commission. Véritables banquiers, on les appelait des " grimbelins ". Prêtant avec des taux usuraires, ils furent remplacés par les trésoriers de la Bourse de Sceaux et de Poissy qui, moyennant une commission, payaient immédiatement les bouchers forains. Cette bourse devint ensuite la Caisse de Poissy, jusqu’à ce que, l’exercice du métier de boucher étant devenu libre, elle cesse son activité en 1853.

Jusqu'en 1567, la corporation des écorcheurs était chargée de tuer et d’écorcher les chevaux et autres gros animaux. Les abattoirs étaient jusqu’alors situés à l’intérieur des villes, les écorcheries et tueries parisiennes étant situées après le Louvre. A partir de cette date, des règlements de police imposèrent de les transférer hors la ville, de les clore et de les implanter à proximité d'une rivière afin que le sang et les immondices puissent y être rejetés durant la nuit ! .. De même, la chair de porcs nourris avec des pains de noix par les huiliers (à cause du mauvais goût de cette viande) ou élevés dans les maladreries devait être jetée à la rivière ou dans les champs par les jurés de la communauté.

Il était interdit aux bouchers d'acheter des animaux en dehors des marchés aux bestiaux à moins que ce ne fut chez les fermiers et laboureurs. La vente des animaux démarrait à 8 heures du matin de juin à août et 9 heures le reste de l'année. Pour saler les peaux, les bouchers parisiens utilisaient du sel ayant servi à la confiserie des morues, l'entrée du sel dit " natron " étant interdite dans Paris.

Jusqu’en 1807, l’abattage des animaux de boucherie dans la capitale était réalisé par chaque boucher dans la tuerie attenante à son échoppe ou dans les écorcheries. Afin de promouvoir de meilleures conditions d’hygiène, Napoléon décida la construction de cinq abattoirs sur la périphérie : à Montmartre, Grenelle, Ivry, Popincourt et le Roule. Ceux-ci étant approvisionnés par les marchés aux bestiaux de Sceaux, Poissy, la Chapelle, les Bernardins et celui de la halle aux veaux. Les bouchers y parlaient le louchebem, une langue verte, un argot qui leur était propre et que mes parents pratiquaient encore couramment, du moins lorsqu’ils ne souhaitaient pas que leurs enfants comprennent leur conversation...

Mais avec l’extension de la ville, l’accès de ces établissements fut de plus en plus difficile. Ainsi, les bouchers allaient acheter chaque année à Poissy, en lisière de la forêt de St Germain, 80.000 bœufs, 20.000 vaches, 45.000 veaux et 350.000 moutons. Le gouvernement décida donc en 1867 de concéder un terrain de cinquante hectares à La Villette pour y regrouper le marché aux bestiaux et les abattoirs de la ville. Conçus par l’architecte Baltard, avec 408 postes d’abattage, les pavillons abritaient une légion de sacrificateurs qui offraient leurs services aux bouchers pour 5 francs par jour.

Les agneaux ne pouvaient être vendus et débités en dehors des périodes allant du 1er de l'an jusqu'au carême et de Pâques à la Pentecôte. De Pâques à la St Rémi, les viandes mises à la vente devaient avoir été au préalable inspectées par les deux jurés élus de la communauté parmi les maîtres ayant au moins 10 ans de maîtrise (le Consulat chargera par la suite les maires d'assurer la surveillance des boucheries et de la salubrité, responsabilité aujourd'hui assumée à Paris par la préfecture de police) avec le pouvoir de saisir les viandes avariées.

Les étalages devaient être garnis de viande la veille de Pâques sous peine d'être obligés de fermer le reste de l'année. A cause de la chaleur qui pouvait corrompre la viande, les bouchers ne furent d'abord autorisés à ouvrir leurs étalages en été que les dimanches et fêtes depuis le premier dimanche après la Trinité jusqu'à la fête de Notre-Dame-de-Septembre, à l'exception des fêtes de Pâques, Pentecôte, Trinité, Fête-Dieu et Assomption. En dehors des samedis et veilles de grandes fêtes où ils pouvaient ouvrir jusqu'à 10 heures du soir, les étalages devaient être libérés avant 6 heures. Au XVIIIe siècle, les étalages de bouchers devaient normalement être fermés les vendredis, samedis et autres jours maigres (en particulier durant le carême). Toutefois, dans chaque halle où il y avait au moins 10 étalages, l'un d'entre eux devait être ouvert pour satisfaire la demande des malades, ceux-ci étant exemptés de jeûne.

Les bouchers proposaient aux chandeliers les suifs en branche entre 10 et 13 heures. Ils étaient autorisés à fondre leurs suifs que pour faire les chandelles destinées à l'éclairage de leur maison.

Longtemps source de fraudes par confusion avec celle de viande de bœuf, la vente de viande de cheval ne fut autorisée légalement en France qu’à partir de 1865 et réservée aux boutiques portant en gros caractères les mots " boucherie hippophagique ". En fait, les bouchers spécialisés dans le travail de la viande de cheval se multiplia lors du siège de la capitale par les Prussiens. On vit même alors s’ouvrir Chaussée d’Antin des boucheries canines et félines qui vendaient 15 francs un chat tout dépouillé et 10 à 12 francs le gigot de chien, voire des rats dépouillés de leur fourrure.

Au Moyen Âge, on nommait étalier tout marchand qui étalait ses marchandises aux yeux des passants. Les présentoirs, aménagés devant les échoppes, prenaient tant de place qu'il fut interdit qu'ils empiètent de plus de huit pouces sur la chaussée (il n'y avait alors pas de trottoirs et l'eau s'écoulait dans un caniveau au milieu des rues). A la veille de la Révolution, le terme d'étalier ne désignait plus, exclusivement, que le garçon boucher.

A l'époque féodale, les bouchers étaient quelquefois imposés à des redevances spécifiques. Beaucoup de seigneurs exigeaient des bouchers domiciliés sur leurs fiefs les langues des bœufs qu'ils tuaient. D'autres avaient des exigences plus originales : à Lamballe, le sieur de la Brousse pouvait prendre, de chaque boucher ou vendeur de lard dans les paroisses de Notre-Dame et Saint-Martin, une joue de porc prise deux doigts au-dessous de l'oreille alors que ceux de Dol-de-Bretagne devaient fournir au sire de Combourg une pelisse en peau blanche assez grande pour entourer un fût de pipe avec des manches assez larges pour qu'un homme armé pût y passer facilement le bras.

Comme mon père l’un d’entre eux durant l’occupation allemande, il est encore possible de rencontrer aujourd’hui un tueur de cochons forain. Il passe dans les fermes pour abattre l’animal, le découper et le transformer en boudins et salaisons diverses.

A la fin du XIXe siècle, d'ignobles gargotiers sans scrupules n'hésitaient pas à louer aux meilleurs bouchers des morceaux de viande de premier choix, quartiers de bœufs, porcelets biens dodus, faisans brillants de leur admirable plumage... pour les présenter à leur devanture. En fait, cet étalage n'était fait que pour attirer le gogo, les plats n'y étant préparés qu'avec des viandes faisandées. Des gargotiers allaient même jusqu'à frotter les ouies des poissons avec du sang frais pour leur redonner plus d'allure. Cette tromperie de plus en plus généralisée incita certains bouchers à se faire loueurs de viande. L'hiver, ils louaient les carcasses pour une semaine, deux jours l'été, en dehors des jours de canicule. Heureusement, le métier disparut avec la loi de 1905 sur la répression des fraudes

Charcutiers

Les bouchers eurent longtemps le monopole de la viande de porc. Lorsqu'ils se sentirent suffisamment nombreux, des charcutiers parisiens revendiquèrent et obtinrent en 1476 des statuts qui leur interdisaient cependant de vendre des fruits, choux, navets, beurres, harengs ou chair cuite qui ne fut "digne d'entrer en corps humain". Leur communauté avait deux jurés élus à la St Rémi par l'assemblée des maîtres. Mais la nouvelle corporation ne s'affranchira de celle des bouchers que par des lettres patentes de 1513 qui leur permirent d'acheter des bêtes sur pieds et à vendre de la viande crue sans leur payer de redevance. Ils purent ensuite acheter des porcs vivants chez les particuliers situés au-delà d'un rayon de 20 lieues de Paris. En deçà, ils devaient s'approvisionner sur les marchés hebdomadaires de Paris ou sur les foires annuelles de St Ouen, Sceaux et Longjumeau.

En déposant les statuts de leur communauté, les charcutiers s'arrogèrent le monopole de la préparation des saucisses, viandes cuites mais s'interdisaient la vente des fruits, légumes, fromages et poissons. Un apprentissage de 4 ans et un compagnonnage de 5 années fut exigé avant d'être admis à réaliser le chef-d’œuvre pour lequel le candidat devait tuer un porc et l'habiller puis, le lendemain, le couper et le dépecer en présence du bureau de la confrérie. Celle-ci avait sa chapelle aux Grands Augustins. D'abord dédiée à la sainte Vierge, elle se plaça en 1776 sous le patronage de sainte Catherine. Le maître ne pouvait embaucher aucun compagnon avant la mi-carême, ni prendre un compagnon venant de chez un confrère avant le mercredi des cendres de l'année suivante.

Les 40 maîtres charcutiers, qui devaient mettre des nappes blanches sur leurs étalages et porter des tabliers blancs. Ils ne pouvaient tenir à Paris et faubourgs qu'une seule boutique sur rue. Défense leur était faite de vendre des saucisses du 15 septembre au carême mais aussi de colporter, faire colporter, vendre ou débiter leurs produits par les rues de la ville. En 1745, il leur fut même interdit de diffuser des billets annonçant la vente de leurs produits, c'est-à-dire de faire de la publicité ! De plus, ils étaient sévèrement contrôlés : en sus des quatre inspections annuelles faites par les jurés de la confrérie dans leurs magasins et étalages ouverts aux halles pour le lard, ils subissaient celles de trois catégories d'employés municipaux qu'étaient les langueyeurs, les tueurs et les visiteurs de chair

Fabricants de crêtes de coq

Il existait à Paris, au Moyen Âge, une profession typiquement gauloise : fabricant de crêtes de coq. Les explications sur le choix de cet animal symbolique que nous voyons au sommet de toutes nos églises villageoises sont multiples, allant du domaine théologique en faisant référence au fait que son chant annonce le lever du soleil lui-même symbole de la Résurrection du Christ en passant par le lien avec le nom latin "gallina" de l'espèce, jusqu'à des considérations plus grivoises. Il n'en demeure pas moins que ce morceau était si apprécié des gourmets que les gargotiers proposaient plus de crêtes farcies qu'il n'y avait de coqs abattus... Le subterfuge était le fait des fabricants de crêtes de coq qui utilisaient en réalité le palais des moutons et des bovins qu'ils découpaient, faisaient blanchir et mettaient à macérer deux jours avant de donner aux morceaux l'apparence de crêtes

Tripiers

Les cuiseurs de tripes et d'abats de bœuf et de mouton ne formaient pas de communauté autonome organisée. Ils obtenaient simplement un droit d'établissement avec l'autorisation du prévôt. En 1738, celui-ci ordonna que leur nombre soit réduit à Paris de 20 à 12 pour mieux contrôler l'état sanitaire des produits commercialisés, pour réduire la gêne que leur prolifération occasionnait aux bouchers lorsque ceux-ci conduisaient les animaux aux abattoirs, mais également pour réduire les risques d'incendie à partir des échaudoirs qui restaient allumés en permanence. Une sentence de 1746 autorisa les tripiers à vendre le foie et le cœur de bœuf cuits ou crus

Fondeurs

Au milieu du XIXe siècle, le développement des grands abattoirs et l’augmentation de la demande de produits d’éclairage incitèrent des fondeurs de suifs à créer des ateliers spécialisés. Ainsi, entre 1840 et 1850, pas moins de quatre fondeurs s’installèrent à Aire-sur-la-Lys dans de modestes ateliers abritant les hachoirs de suifs, une chaudière et des cuves en fonte de quelques hectolitres chauffées par des serpentins à vapeur.

Pour préserver la salubrité des villes, les cadavres d’animaux morts de maladie étaient ramassés par les équarrisseurs. Du fait des odeurs qui en émanent, peu de gens sont enclins à vérifier leurs chargements. C'est pourquoi l'un d'eux put se faire complice de l'évasion du maréchal de camp François d'Averton, seigneur de Belin et ligueur sous Henri IV : condamné à mort, il s'évada et sortit de Paris caché dans le ventre d'un cheval mort

Cuisiniers

Les cuisiniers traiteurs étaient appelés cuisiniers-oyers au moyen âge puis, au XVIsiècle, maîtres-queux-cuisiniers ou porte-chapes. Ce dernier nom venait du fait qu'ils couvraient les plats d'un couvercle en fer-blanc pour les livrer en ville comme leurs successeurs font aujourd'hui dans les restaurants de luxe avant de servir, à moins qu'il ne trouve son origine dans la serviette que les cuisiniers portaient au col pour tenir les plats... Les cuisiniers-oyers accommodaient les viandes et légumes, rôtissaient les oies et autres volailles, confectionnaient quelques pièces de charcuterie. La surveillance sanitaire des viandes cuisinées était assurée conjointement par 4 jurés cuisiniers et par les jurés élus par les bouchers. Le maître-queux du Roi inspectait le commerce des poissons et la prisée des marchandises.

Pour accéder à la maîtrise après 3 années de travail chez un maître cuisinier, le compagnon devait réaliser comme chef-d’œuvre, chez l'un des jurés, un plat de viande ou de poisson adapté à la saison. A l'origine, les cuisiniers-oyers ne confectionnaient que des plats très ordinaires. Certains d'entre eux constituèrent en 1476 la communauté des charcutiers

D’autres constituèrent en 1509 la communauté des oyers et maîtres rôtisseurs. Ils s'arrogèrent alors, grâce aux lettres patentes de Louis XII, la plupart des privilèges des oyers dont la principale activité consistait à cuire les oies, l'un des mets les plus prisés du moyen âge. Ils se réservèrent en particulier le monopole de trousser, larder, parer, rôtir les volailles et le gibier à poils et à plumes, les agneaux, les chevreaux et les cochons de lait. Compte tenu des prérogatives des traiteurs qui seuls étaient habilités à organiser des festins, les rôtisseurs ne pouvaient cuire pour un particulier plus de 3 plats de rôtis et de fricassée. Personne d'autres qu'eux n'avaient le droit de passer au feu les volailles et on ne pouvait se procurer que dans leurs boutiques les volailles rôties prêtes à manger.

La fraude existe depuis longtemps dans ce domaine comme dans d'autres. Au XVe siècle, le rôtisseur surpris à vendre du chat pour du lapin devait se rendre de jour au bord de la Seine et crier à haute voix en public en jetant ses chats au fleuve "Braves gens, il n'a pas tenu à moi et à mes sauces perfides que les matous que voici ne fussent pris pour de bons lapins." En 1631 des bouchers furent condamnés pour avoir vendu aux rôtisseurs des chats écorchés habillés en guise d'agneaux ! .. Pour faire respecter son règlement, la communauté procédait à l'élection de 4 jurés, parmi les maîtres ayant 6 années de maîtrise par un collège de 12 anciens et autant de jeunes. Les maîtres rôtisseurs furent autorisés en 1650 à avoir un deuxième apprenti mais ils pouvaient se faire assister de plusieurs compagnons. Il fallait 4 ans d'apprentissage et 6 années de service comme compagnon chez un maître pour être admis à la maîtrise, le fils de maître étant exempté de réaliser un chef-d’œuvre. En cas d'absence de plus de 6 semaines, le brevet d'apprenti était frappé de nullité. Par ailleurs, l'apprenti devait demander l'accord de son maître avant de se marier.

Les oyers maîtres rôtisseurs se sont placés sous le patronage de la sainte Vierge en son Assomption. Ils s'interdisaient de travailler à Pâques, Pentecôte, Toussaint, Noël et les quatre fêtes de la Vierge Marie. Leur confrérie, dont le siège était aux Cordeliers et le bureau quai des Augustins, fusionna en 1776 avec celle des traiteurs et des pâtissiers.

En 1718, plusieurs chansons eurent pour thème la triste mésaventure du célèbre rôtisseur Quoniam qui était jaloux des nombreux bijoux offerts par le sieur Marie à sa femme : sur la suggestion de celle-ci, l’amant fit expédier une lettre de cachet en vertu de laquelle le " maître lardeur de viandes ", qualifié également par le chansonnier de l’époque de " fricasseur ", fut exilé sur les rives du Mississipi...

Le métier se transforma progressivement. Les maîtres-queux devinrent les cuisiniers des "grandes" tables à l'image des chefs d'aujourd'hui et, en 1599, les écuyers de cuisine, maîtres-queux, potagers, hateurs (de "hasta" qui était une broche) employés dans les maisons du roi et des princes purent se faire admettre comme maîtres sur la simple présentation de leur certificat de travail, ceux des présidents et conseillers au parlement après 3 années consécutives d'expérience. Quant aux garçons de cuisine portant la hotte, ils pouvaient aller travailler durant leurs journées de repos chez les particuliers, mais il leur était interdit d'entreprendre noce ou festin.

On surnommait galopin l'aide-cuisine qu'on envoyait faire les menus achats. Dans les grandes maisons nobles ou bourgeoises, ce marmiton était chargé de tourner les broches, de barder les viandes, de trousser et plumer les volailles et, d'une façon générale, d'exécuter toutes les tâches ingrates de la cuisine, en particulier de récurer les marmites.

La confrérie parisienne des maîtres cuisiniers-traiteurs se réunissait dans l'église des Saints Innocents, en particulier à la fête de la Nativité de la sainte Vierge pour y élire ses quatre administrateurs. La cotisation annuelle était en 1633 de 20 sols, un cierge blanc de 2 livres et un pain béni à laquelle s'ajoutait un droit de 7 sols et 6 deniers pour chaque noce servie.

Les grands traiteurs se distinguent par leur grande imagination et leur sens de l’organisation pour satisfaire les commandes fastueuses de leurs clients. Ainsi, le 28 février 1718, la duchesse de Berry commanda-t-elle à Momus pour ses amis de Lorraine au palais du Luxembourg un festin comprenant 31 potages, 60 moyennes entrées, 132 hors d’œuvre (autant que de dames invitées...), 132 entremets chauds, 60 plats d’entremets froids, 72 plats ronds et, comme dessert, 100 corbeilles de fruits crus, 94 de fruits secs, 50 soucoupes de fruits glacés et 106 compotes. Les plats étaient servis par 200 suisses pendant que 132 domestiques étaient chargés de verser à boire.

Mais le banquet le plus mémorable fut, sans conteste, celui offert par le Président de la république aux maires de France lors de l’Exposition universelle de 1900. Deux immenses tentes avaient été dressées dans toute la longueur du jardin des Tuileries pour abriter les 36.000 élus et 4 km de tables. Servis par 4.800 cuisiniers et maîtres d’hôtel de la maison Potel et Chabot, les convives se virent offir dans 250.000 assiettes rien moins que 2.000 kg de saumon, 2.450 faisans, 2.500 poulardes, 1.200 litres de mayonnaise, 1 tonne de raisin, 10.000 pêches, 6.000 poires, 50.000 bouteilles de vin et 3.000 litres de café. Pour coordonner le service, les chefs de rang circulaient en bicyclette dans les allées…

Selon Brillat-Savarin, auteur de "La physiologie du goût", celui que l'on peut désigner comme étant le précurseur des restaurateurs est Beauvilliers. Il fut en effet le premier à proposer un menu connu d'avance à sa clientèle. Officier de bouche du Comte de Provence et attaché aux extraordinaires des maisons royales, Beauvilliers fonda en 1782 "La grande Taverne de Londres". Doué d'une grande mémoire visuelle, il accueillait vingt ans après des personnes qui n'avaient mangé chez lui qu'une fois ou deux. Il leur décommandait alors un plat, leur en suggérait un autre, faisait venir du vin d'un caveau dont lui seul avait la clef... avant de rejoindre ses fourneaux. Beauvilliers écrivit en 1824 "l'Art de cuisiner" qui fit longtemps autorité dans le métier.

De façon inattendue, la Révolution entraîna le développement des restaurants. En effet, selon Soulié dans son étude sur les "Restaurants et Gargotes", jusqu'alors, la haute noblesse recevait dans ses châteaux. Les grands maîtres-queux ne travaillaient que pour les princes et les fermiers généraux. Avec l'exil de ceux-ci, ne serait-ce que pour survivre, nombre de bons pâtissiers comme les Avice, Nivet, Leclerc, Laforgue, Larcher ou Bailly ouvrirent boutique et, dès le Directoire, trouvèrent une nouvelle clientèle avec les bourgeois dont les affaires fleurissaient. C'est ainsi que Lejacque ouvrit un restaurant en 1791 au Jardin des Tuileries qui, selon Brillat-Savarin, fut le premier établissement où se fit de la grande restauration. Les conventionnels comme Marat et St-Just s'y retrouvaient et y préparaient les interpellations.

A la fin du Second Empire, la plupart des restaurateurs proposaient des escargots à leurs clients. Si, dans les bonnes maisons, on jetait les coquilles après avoir desservi la table, des marchands de coquilles, au petit matin, n'hésitaient pas à faire leurs boites à ordures pour y récupérer ces reliefs et, après un bref époussetage, à les revendre aux gargotiers. La règle était de ne jamais nettoyer ces coquilles afin que le beurre persillé restant collé aux parois parfume la mauvaise margarine ajoutée par ces derniers et trompe ainsi les papilles des consommateurs. En Beauce, une chasse acharnée était alors faite aux alouettes. Elle était si fructueuse que les restaurateurs de Pithiviers s’en étaient faits une spécialité : pâtés en croûte, terrines et alouettes préparées en gardant leur apparence étaient proposés d’octobre à mars dans les hôtels et chez les traiteurs de la ville.

Les trois chefs cuisiniers Escoffier, Philéas Gilbert et Emile Fétu créèrent en 1912 à Paris la première maison du métier de cuisinier dans le cadre de l’Union compagnonnique des compagnons du tour de France. Comme les cabaretiers et traiteurs, les cuisiniers se plaçaient sous le patronage de saint Laurent alors qu’Escoffier lui préférait saint Fortunat

Laitiers

Jusqu’au début du XIXe siècle, les paysannes de plusieurs pays européens (je l’ai vu moi-même dans les monts de la Medjerda dans les années 1960..) préparaient le beurre dans une peau de bouc cousue qu’elles suspendaient à un trépied et à laquelle elles imprimaient un mouvement d’oscillation. Les autres se contentaient, pour séparer la crème du lait, de laisser le lait se reposer dans des vases de grès pendant vingt-quatre ou quarante-huit heures en maintenant la pièce à une température d'environ 15°. Certains laitiers utilisaient une "crémeuse" qui n'était qu'une simple table avec trois vases de fer battu doté d’un orifice à la base permettant de prélever le lait écrémé.

Les fermières de la région de Rennes utilisaient encore à la fin du XIXe siècle un simple cône de bois doté d'un piston dit "batte-beurre" ou "baraton" bien que la baratte à agitateur soit apparue dès 1815 et que leurs collègues normandes utilisaient déjà un tonneau rotatif en chêne monté sur chevalet et garni de palettes dit "serène". Celles-ci, assises sur un petit trépied, trayaient leurs vaches au milieu des prés et avaient amené le lait dans des " cannes " jusqu’à la ferme. Dans le Calvados, des crémiers collectaient ce beurre fermier ; des malaxeurs le pétrissaient dans de grandes jattes après l’avoir laver pour enlever le reste de petit lait avant de le mettre dans des pots en grès nommés " mahons ". Ce travail, qui demandait de la poigne, fut allégé par la mécanisation grâce à l’invention par M. Hauducœur.

Certains industriels laitiers peu scrupuleux s'installèrent alors dans le pays d'Auge, à Vimoutiers, St Pierre-sur-Dives, Mézidon; ils y achetaient du beurre qu'ils malaxaient avec 40% de margarine et vendaient avec l'estampille normande. Des acheteurs anglais s'en rendirent compte et les procès qu'ils leur intentèrent firent cesser la fraude. Mais le plus surprenant... fut que les principaux beurriers fraudeurs s’avérèrent être également des Anglais !

Fromagers

Pour symboliser la diversité des courants d’opinion qui traversent traditionnellement la société française, le général de Gaulle a dit combien " il est difficile de diriger un pays qui produit 365 fromages ". Sur un autre plan, cette diversité fait la notoriété du patrimoine gastronomique français. Pourtant, lorsque le Président de la République a fait cette réflexion, plusieurs fromages traditionnels avaient déjà disparu… Ainsi en était-il du " fromage à la pie " qui était produit par les fermières beauceronnes pour nourrir les domestiques et ouvriers agricoles de la ferme, de celui de Compiègne et celui de Montfort, un fromage frais moulé en forme de cœur et servi couvert de crème dans les restaurants de Montfort l’Amaury…

Le cantal est probablement le plus ancien des fromages français puisque Pline l’Ancien le mentionne dans ses écrits. Dans le département du même nom, deux fois par jour, après la traite, le lait était transporté au buron dans de grands seaux en bois dits "gerbes". Là, le vacher passait le lait dans des tamis de crin et y mettait immédiatement la présure. Au bout de cinq quarts d'heure, le vacher rompait le caillé avec une spatule de bois pour ôter le petit-lait, celui-ci étant consommé par la famille ou écrémé pour faire le "beurre de montagne". Le caillé décanté était ensuite mis sur la table à fromage, dans une auge percée. Le vacher, les bras nus et le pantalon retroussé, comprimait la pâte avec ses bras et ses jambes durant une heure et demie pour extraire le reste de petit-lait. Ceci fait, il plaçait la tome dans une grande gerbe et l'y laissait fermenter deux jours, puis l'émiettait et la salait avant de la mettre dans un moule, de la presser et de la mettre en cave. Au début de la IIIe République, MM. Baduel d’Oustrac et Laurent Collet introduisirent en Aveyron la fabrication du cantal en y consacrant plus de soins que dans les burons auvergnats, ce qui leur permit d’obtenir, en 1874, les prix de l’Exposition agricole de Paris.

Beaucoup de fromages furent mis au point par des moines. C’est le cas, en particulier, du munster élaboré dès 668 par des moines installés dans la vallée de la Fecht. Au XVIe siècle, la gamme des fromages commercialisés dans la capitale s’était déjà largement diversifiée : il en arrivait du Vexin, d’Auvergne, du Dauphiné, de Savoie, d’Italie, de Suisse, de Hollande...

La création du maroilles serait due, en 960, à un moine de l’abbaye de Maroilles. Dans " l’Escrit des pâturages " de 1174, il est ordonné que tous les habitants des villages de Saint Humbert, Maroilles, Marbaix, Noyelles s/Sambre et Taisnières-en-Thiérache devaient convertir en fromages le lait produit par leurs vaches la veille de la St Jean, puis déposer ceux-ci à l’église de leur village le jour de la Saint Rémy pour les livrer à l’abbé de Maroilles en acquittement de leurs redevances. De leur côté, les fruitiers d'Amiens reçurent de la municipalité leurs statuts en 1268.

On trouve pour la première fois mention d’un fromage en Normandie dans un texte de 1035. Il s’agissait du fromage de Neufchâtel que l’on reconnaît à sa forme typique de cœur. En fait, les fermières du pays de Bray ne lui donnèrent cette forme qu’au cours de la guerre de Cent Ans pour mieux toucher le cœur des soldats anglais qui occupaient alors toute la région. En 1820, un certain Michel Fromage, un nom bien normand, créa un atelier à Boissey pour y fabriquer du livarot cerclé de trois laîches, roseaux coupés dans les marais voisins.

C'est l'élargissement de la diffusion des fromages normands (camembert, livarot et pont-l'évêque) permis par le développement rapide des moyens de transport ferroviaire qui entraîna le recours aux boîtes en bois. Les premières furent fabriquées vers 1890 par les scieries jurassiennes jusqu'à ce qu'un ouvrier scieur créé en 1907 à Livarot un atelier de déroulage des grumes de peupliers en copeaux de 0,8 mm d'épaisseur. Les boîtes étaient alors clouées et agrafées avant de recevoir leurs étiquettes collectionnées par les "tyrosémiophiles" dont le plus grand, à ce jour, est sans conteste possible, Michel Besnier.

Sous le Second Empire, en particulier du 15 septembre au 15 mars, les herbagers de la vallée de Camembert transformaient leur lait en fromages qu'ils vendaient le lundi sur le marché de Vimoutiers contre deux centimes de droit de place par douzaine. Le marché fini, le mari et sa femme allaient dîner à l'hôtel avant de rentrer chez eux. Dès 1900, la plupart préféraient déjà livrer leur lait aux laiteries pour 0,18 franc le litre plutôt que d'en tirer 0,25 franc en le transformant eux-mêmes en fromages. Quatorze mille faisaient des fromages de Livarot qu'ils vendaient à des caveurs spécialisés dans l'affinage.

Une tradition locale propagée par les troubadours occitans veut que ce soit l’oubli du casse-croûte d’un berger parti conter fleurette qui soit à l’origine du roquefort. Des chartes de 1070 font déjà allusion aux fromageries aménagées dans les grottes naturelles du Combalou, ce massif calcaire des Causses fracturé avec des fleurines qui entretiennent des courants d’air à 7° toute l’année. La création de la Société des Caves de Roquefort en 1892 sonna le démarrage du traitement industriel des fromages livrés par les bergers. Après le salage, le brossage et le piquage, les fromages étaient prêts pour la maturation dans les fameuses caves naturelles. Cette dernière opération, cruciale pour la qualité du produit fini, était réalisée par une armée de femmes dites cabanières. Pour résister à l’humidité ambiante et à la fraîcheur de l’air, les cabanières, les cheveux noués d’un mouchoir et chaussées de gros sabots, portaient un jupon en molleton qualifié alors de très court –juste au-dessous du genou – des bas de laine et un tablier de toile grise à bavette. A la faible lueur des lampes à huile, les équipes de cabanières procédaient tous les quinze jours à la toilette, c’est-à-dire au raclage et au retournement des fromages en récupérant soigneusement la partie grattée dite " rebarbe " car celle-ci constituait un aliment bon marché mais recherché dans la région.

En Franche-Comté, on ne parle pas de fromageries mais de fruitières et ce depuis des temps très anciens : une charte de 1288 relative à Deservillers parlait en effet déjà de " fromaigres de fructère ". Six siècles plus tard, en 1897, on dénombrait 353 fruitières dans le Doubs et 482 dans le département du Jura. Dans cette région accidentée et difficile d’accès l’hiver, nombre de communes, en particulier dans l’arrondissement de Pontarlier, avaient plusieurs fruitières sur leur territoire, le record étant détenu par celle des Forges avec sept fruitières.

Dans presque chaque village, les cultivateurs désignaient parmi eux une commission pour faire exécuter le règlement de leur association dite "fruitière". Il appartenait en particulier à cette commission de choisir le fruitier, c'est-à-dire l'ouvrier chargé de transformer leur lait en fromage. Les fermières l'apportaient après chaque traite et le fruitier le versait dans une chaudière suspendue dans la cheminée. Sitôt que la température atteignait 25°, le fruitier éloignait la chaudière du feu et y versait la présure extraite de la caillette de veau. Après vingt minutes, le fruitier brassait la masse de caillé avec un couteau de bois, puis avec un "brassoir" ; il remettait ensuite la chaudière sur le feu sans cesser de brasser le caillé jusqu'à ce qu'il atteigne 33°. Pour retirer la pâte ainsi obtenue et l'égoutter, avec l’aide d’une baguette flexible, le fruitier plaçait la pâte dans un cercle de sapin ou de hêtre pouvant être rétréci à volonté. Une fois tout le petit lait écoulé, le fruitier marquait la meule de fromage du nom du livreur de lait propriétaire, puis la déposait en cave ; il la retournait et la morgeait ensuite chaque jour en la saupoudrant de sel.

Victor Hugo a décrit dans le second livre des Misérables l'organisation particulière des fruitières, de Pontarlier. "On en distinguait deux sortes : les 'grosses granges' qui sont aux riches, et où il y a quarante ou cinquante vaches, lesquelles produisent sept à huit milliers de fromages par été ; les 'fruitières' d'association, qui sont aux pauvres ; ce sont les paysans de la moyenne montagne qui mettent leurs vaches en commun et partagent les produits. Ils prennent à leurs gages un fromager qu'ils appellent le grurin; celui-ci reçoit le lait des associés trois fois par jour et marque les quantités sur une taille double ; c'est vers la fin d'avril que le travail des fromageries commence ; c'est vers la mi-juin que les fromagers conduisent leurs vaches dans la montagne".

En 1900, suivant une coutume datant du moyen âge, 23 des 24 fruitières du canton d’Amancey pratiquaient encore la " fabrication à la taille ", c’est-à-dire que le fruitier mesurait le volume de lait apporté et marquait le nombre de litres sur des tailles de bois. Cet ustensile tendait cependant à être remplacé par un livre de compte dit le " petit carnet ". Dès qu’un des associés avait apporté le nombre de litres nécessaires à la fabrication d’une meule de comté - soit environ six cents litres, ce qui pouvait demander plus de deux mois pour les plus modestes - le fromage fabriqué ce jour là était marqué à son nom. En contrepartie, il devait nourrir le fruitier. Le produit de la vente était remis à l’associé après déduction des frais de fabrication. Pour mutualiser les risques de malfaçon et pouvoir négocier la vente des fromages avec les acheteurs dans de meilleures conditions, nombre d’associations avaient déjà adopté à la fin du siècle dernier le " grand carnet ". Par ce système, les fromages étaient fabriqués et vendus par la fruitière au prorata des apports de lait, le petit lait issu de la fabrication étant réparti entre les associés. Les marchands venaient régulièrement de Lyon et de Paris acheter les fromages à la cave de la fruitière, ces associations pouvaient vendre au meilleur prix et verser des avances aux associés. D’autres paysans, en particulier dans l’arrondissement de Pontarlier, préférèrent confier la gestion de leur association à un fabricant à qui ils vendaient leur lait sans se préoccuper de la manière dont il valorisait le lait, que ce soit en fromage ou en beurre.

Après que Pasteur eut découvert l’action des micro-organismes, un chimiste de La Ferté sous Jouarre nommé G. Roger entreprit de produire des moisissures et des bacilles pour les fromagers de Brie. Mais ceux-ci se refusèrent à les utiliser dans leurs fabrications jusqu’à ce que Roger leur attribue le nom de ferments

Sommeliers

A la cour royale et dans les maisons princières, alors qu’il avait les mêmes fonctions que le chambellan, on appelait sommelier l’officier de cuisine chargé de la garde du pain, du vin, de la vaisselle et du linge de table. Le sommelier de paneterie apportait et plaçait sur la table la " nef " où étaient enfermés la salière, la serviette et les tranchoirs ou grands couteaux. Le sommelier d’échansonnerie était chargé de l’aiguière remplie d’eau et des vases de boisson

Sucriers

Pour édulcorer les aliments, les hommes ne connurent, pendant très longtemps, que le miel et le sucre de canne, celui-ci ayant été découvert par les Européens lors de la première croisade de 1099. L’Inde fut probablement le berceau de la production de sucre appelé ‘sel indien’ par les auteurs de l’Antiquité. On ne trouve mention en France de sucre blanc qu’à partir de 1333 alors qu’il semble que les Siciliens aient introduit dans leur île au XIIe siècle la production de sucre de canne. Selon Beaujeu, les Provençaux auraient planté les premières cannes à sucre en 1549. Les sucres les plus estimés provenaient alors de la région de Valence en Espagne, d’Alexandrie ainsi que des îles de Malte, de Chypre, de Rhodes et de Candie.

Dans son ‘Théâtre d’Agriculture’ publié en 1600, l’agronome Olivier de Serres décrit la technique alors employée pour la production de canne à sucre : à mi-septembre les planteurs coupaient les roseaux "rez-terre", les hachaient par tronçons, les faisaient bouillir dans l’eau ; quand cette eau était bien imprégnée de la substance sirupeuse du roseau, on la faisait évaporer jusqu’à siccité, ce qui donnait du sel qui était ‘sucre’. Cette description montre qu’à la différence des Espagnols qui le faisaient blanchir en le cuisant trois ou quatre fois avant de le mouler en pains, les planteurs provençaux ne savaient pas encore raffiner leur sucre. La demande s’accroissait régulièrement au profit des négociants hollandais qui, avec leurs pains de vingt livres enveloppés dans des feuilles de palmier, approvisionnaient seuls tout le Nord de la France. Les colons implantés en Guadeloupe développèrent alors la production de cannes à partir de 1648 en embauchant des ouvriers hollandais expulsés du Brésil.

Mais la surproduction guettait… et le Régent décida d’interdire la création de nouvelles sucreries. Pour faire appliquer sa décision, il envoya en Martinique le gouverneur La Varenne et l’intendant Ricouart. Face à la rigueur de cette interdiction, les planteurs ne restèrent pas sans réaction. Ce fut, le 23 mai 1717, leur premier " gaoulé ", conduit avec beaucoup d’intelligence par François Banchereau de Latouche : ils invitèrent les deux envoyés du Régent à un banquet, les appréhendèrent, les conduisirent jusqu’au port de Saint Pierre et les obligèrent à rembarquer pour la métropole…

Grâce aux facilités d’approvisionnement en sucre de canne des Antilles et en charbon du Bourbonnais acheminés sur la Loire, le raffinage du sucre roux représentait une activité considérable à Orléans : à l’aube de la Révolution, on n'y comptait pas moins de 10 raffineries employant de 40 à 50 sucriers pour fabriquer environ 300 tonnes de sucre blanc chacune et 17 autres avec une dizaine d’ouvriers. L’écume retirée du dessus des bassines était pressée et le rebut était épandu sur les prairies.

Alors qu’Olivier de Serres avait signalé dès 1605 la présence de sucre dans la betterave, il fallut attendre 1747 pour que le chimiste allemand Margraff reprenne les expériences tout en écrivant, cependant, qu’il " ne se chargerait pas de fournir le nouveau sucre à 100 francs l’once "… En effet, la production par de nombreux esclaves permettait une production de sucre de canne à un très faible coût. Un dénommé Achard redécouvrit à la fin du XVIIIe la présence de sucre dans la betterave et créa un premier atelier en 1800 en Silésie.

Des chimistes français ont d'abord cherché à extraire le sucre du raisin. Imposé à l’Europe continentale par Napoléon Bonaparte et coupant toutes les importations de sucre des Antilles, le blocus créa les conditions d’émergence d’une extraction industrielle du sucre de betterave. Avec l’aide de Barruel et Aimard, Benjamin Delessert mit au point cette extraction dans son atelier de Passy au cours de l’automne 1811 à partir de betteraves de Silésie. Enthousiasmé par cette réalisation lors de sa visite du 2 janvier 1812, l’empereur dégrafa la croix d’honneur qu’il portait sur la poitrine et la remit à Delessert.

L’empereur décréta immédiatement la culture forcée de la betterave et la création de quatre écoles expérimentales avec, en annexe, une sucrerie. L'objectif était de produire du sucre pour un coût inférieur à 1,40 francs le kilo. Des marchés furent conclus avec de gros cultivateurs de Trappes et de Coignières. La ferme de Rambouillet fut prête le 30 juin ; le mois suivant le contremaître, le concierge, le comptable et le mécanicien furent recrutés. On prévoyait la mise en culture de 32.000 hectares la première année, mais on n'ensemença que 6.785 hectares.

La première campagne fut médiocre : la ferme du domaine impérial ne produisit que 200 tonnes de betteraves avec un rendement insignifiant de 300 kilos de sucre brut et un peu d'eau de vie. La campagne suivante fut encore pire, les planteurs des environs ne contractant que pour 51 hectares de betteraves... ce qui signifiait l'arrêt définitif de la sucrerie de Rambouillet. Heureusement, le blocus était levé et le pays retrouva son approvisionnement en provenance des Antilles. Cependant, l’élan était donné et, un demi-siècle plus tard, l’industrie française produisait déjà plus de 400.000 tonnes de sucre blanc pour 0.50 francs le kilo...

En 1900, la France comptait 358 fabriques de sucre et produisait 600.000 tonnes, soit moins de la moitié de la production allemande et autant que la Russie. Parmi ces fabriques, celle d’Escaudoeuvres, au bord de l’Escaut, était alors qualifiée de plus grande sucrerie du monde. Sa râperie pouvait traiter chaque jour 330 tonnes de betteraves. Elle était en outre reliée par des tuyaux en fonte à 16 râperies situées jusqu’à 48 kilomètres pour l’approvisionner en jus. Ses 2.000 ouvriers pouvaient ainsi traiter l’équivalent de 250.000 tonnes de betteraves durant la campagne sucrière. A la fin de celle-ci, fin décembre, il ne restait plus que 400 ouvriers dans la sucrerie. Ils démontaient tout le matériel et le révisaient afin qu’il soit fin prêt pour la campagne suivante. Les autres allaient travailler dans les chicorateries de la région ou comme ouvriers agricoles dans les champs de betteraves

Chocolatiers

La toute première fois que la graine de cacao fit son entrée en Europe fut probablement en 1502, lorsque Christophe Colomb en ramena quelques-unes de l’île de Guanaja à la cour d’Espagne. Les Aztèques buvaient, en l’honneur du dieu Quetzalcoatl, souvent représenté sous la forme d’un serpent à plumes, la boisson qu’ils préparaient avec ces graines grillées et broyées. Ils attendaient, selon leurs calculs astrologiques, le retour de Quetzalcoatl en l’an 1519, ce qui pourrait expliqué l’accueil chaleureux qu’ils ont réservé à Cortez. Après que le pape Pie V eut décrété que le breuvage composé d’eau, de cacao et de sucre " ne rompt pas le carême ", le chocolat mêlé du sucre et de la vanille trouva des consommateurs dans la péninsule ibérique. Il fallut ensuite attendre le mariage d’Anne d’Autriche, fille de Philippe III, avec Louis XIII pour qu’il franchisse les Pyrénées.

Le chocolat fut mis à la mode par la reine Marie-Thérèse après son mariage avec Louis XIV et l’un de ses officiers obtint le monopole de sa commercialisation dans la capitale. La première fabrique française vit le jour en 1756. En dépit des critiques formulées par madame de Sévigné, son goût se répandit dans toute la France et Louis XIV en faisait servir dans les collations qu’il donnait à Versailles. En 1778, Doret inventa une machine hydraulique qui broyait la pâte de cacao et y mêlait avec tant de promptitude et de propreté le sucre et la vanille qu’elle fut bientôt adoptée par tous les chocolatiers

Confiseurs au sucre

Une tradition veut que le pape Clément VI ait nommé, dès 1343, un aptésien nommé Ausis Maseta " ex couyero in confissarias ", ce qui signifie littéralement " écuyer en confiserie ". En 1403, cet office était tenu par un certain Battarely, également originaire d’Apt. Il est par ailleurs certain que les papes d’Avignon commandaient aux apothicaires d’Apt un grand nombre de confitures, terme qui s’appliquait alors tant aux fruits confits (appelés ‘confitures sèches’), qu’à ces mêmes fruits laissés dans leur sirop de cuisson (qualifiés de ‘confitures liquides’), aux pâtes de fruits et aux confitures telles qu’on les connaît aujourd’hui. Au XVIIe siècle, madame de Sévigné décrivait même Apt comme un " chaudron à confitures ". En 1839, les confiseurs aptésiens Bertrand, Bonnet, Boudin, Caire et Jaumard expédiaient leurs confitures glacées, en particulier des abricots et des coings candis, à Paris, Constantinople, Saint Petersbourg et jusqu’à la Nouvelle Orléans. Leur succès ne se départit pas et, en 1911, Ardouin-Dumazet pouvait recenser dans la région onze ateliers de confiserie occupant cinq cents ouvriers, prélude à la présence aujourd’hui, de la présence de l’usine la plus importante du monde en fruits confits. A la même époque, les confituriers de Bar-le-Duc étaient renommés pour leur confiture de groseilles, ceux d’Orléans pour leur gelée de coings et ceux de Clermont pour leur s pâtes d’abricots.

Mais, avant même les fruits confits, le Nord de la France connaissait le confit de pétales de roses. Dès le XIIIe siècle, les pétales de roses de Provins, de Rozay-en-Brie et des environs étaient expédiées dans toute l’Europe et, en 1310, des confitures de roses auraient été offertes à l’archevêque de Sens. Au XVIe, les confiseurs de la région élaboraient, entre le 15 septembre et le 15 octobre, une gelée parfumée avec des pétales de roses fraîches pilées ainsi que des tablettes de sucre parfumées avec des roses sèches pulvérisées.

Les confituriers de Ligny et Bar-le-Duc étaient déjà connus sous l'Empire des parisiens pour la qualité de leur gelée de groseilles. Les fruits étaient achetés sur pied par les fabricants. Arrivés chez ceux-ci, les grappes de groseilles étaient coupées par des fillettes pour les égrener dans des assiettes. Celles-ci étaient portées aux épépineuses qui, armées d'une plume d'oie taillée en pointe, faisaient un trou à côté du pédoncule qui devait être respecté. Plongeant leur outil dans chaque grain, elles en extrayaient le pépin. Grâce à leur dextérité, chaque épépineuse livrait trois kilos de fruits par jour, mais son intervention représentait pour 2,50 francs un coût deux fois plus élevé que celui des fruits !

Toujours au XVIe siècle, les nobles avaient souvent sur eux des drageoirs dans lesquels ils puisaient de temps à autre une ou deux dragées. Le duc de Guise fut d'ailleurs assassiné au moment où il faisait ce geste... Mais la fabrication n'en était qu'artisanale. En 1852, à Dammarie-les-Lys, six ans après avoir démarré par la fabrication des pralines mise au point par des confiseurs vénitiens, le sieur Jacquin se lança dans celle de dragées torréfiées aux amandes ainsi que celle de dragées à la liqueur en utilisant l'invention de M. Peysson.

On se demande quelquefois comment la liqueur peut être mise dans une dragée sans laisser aucune trace... Simplement en utilisant le principe de l'adsorption. Sans en connaître les bases scientifiques, les anciens avaient remarqué que certains produits comme la farine d'amidon sont avides d'eau. Ayant par ailleurs expérimenté que la concentration d'un sirop entraîne la formation de cristaux de sucre, ils utilisèrent ces deux propriétés pour fabriquer ces fameuses dragées à la liqueur. J'ai d'ailleurs pu visiter dans Paris en 1985 un atelier en tous points semblable à l'usine de M. Jacquin telle que nous l'ont dépeinte le dessinateur P. Merwart et Alexis Martin lors de sa visite en 1896 : la pièce où l'on fait tomber la liqueur goutte à goutte sur un lit d'amidon et la rangée de 50 bassines pivotantes en cuivre. Devant chacune de ces bassines, durant une douzaine d'heures, un ouvrier surveillait l'enrobage, arrosant les petits noyaux de liqueur ou les amandes d'un peu de sirop aromatisé jusqu'à ce que les dragées aient atteint le diamètre désiré. Dans l'atelier, outre le bruit intense, y régnait un nuage de sucre et les ouvriers en sortaient tout blancs comme des meuniers. Dans d'autres ateliers de l'usine, des ouvriers fabriquaient par ailleurs des fondants, des nougats, des pâtes de gomme, des confettis en chocolat et des marrons glacés. Par contre, ils ne pouvaient faire des sucettes puisque celles-ci ne furent inventées qu'à la veille de la Grande Guerre

Conserveurs

Selon l'historien romain, les guerriers gaulois armoricains utilisaient de la poudre de viande séchée, pratique qui fut reprise en 1680 par Louvois. En 1769, le bordelais Vilars suggéra d'envelopper la viande dans une couche de gélatine pour la préserver durant plusieurs semaines.

Venu de Chalons sur Marne où il avait commencé son apprentissage comme élève de bouche de la maison ducale de Christian IV à l'âge de 11 ans, Nicolas Appert, s'installa à Paris comme confiseur de produits salés. en utilisant les pratiques traditionnelles pour la conservation de fruits. D'esprit curieux et inventif, il commercialisait déjà en 1782 des petits pois et légumes frais en bouteille. Maîtrisant bien son procédé, il fournit même la marine nationale en 1795.

Le ministre de l'intérieur attribua en 1835 à Appert une prime de 12.000 francs sous réserve qu’il rende public le procédé qu’il avait mis au point en 1809 sans en divulguer le secret. L'inventeur publia donc l'année suivante un livre intitulé "Livre de tous ménages ou l'Art de conserver pendant plusieurs années toutes les substances animales et végétales " qui fut épuisé en 6 mois. Dans l’atelier, le metteur en boites préparait la quantité à employer et finissait de remplir les boites en fer blanc avec un bouillon salé. Celles-ci, placées sur de petits tours de potier, étaient ensuite fermées hermétiquement par les soudeux avec un bâton d'étain. Mais, s’il fut un créatif, Appert ne sut pas gérer son entreprise et mourut ruiné à Massy en 1840.

A l’origine, les marins pêcheurs bretons pressaient les sardines après les avoir salées pour les expédier dans les régions méditerranéennes consommatrices. De leur côté, en 1760, les pêcheurs du Conquet, préparaient les sardines " en daube " : ils les recouvraient totalement de beurre fondu dans des pots de grès bouchés de liège, ce qui permettait de les conserver environ un mois ; d’autres les mettaient également dans le beurre fondu mais dans des boites en fer blanc, ce qui limitait la durée de conservation à une quinzaine de jours.

La confiserie n’est pas que sucrée… Elle concerne également les produits conservés dans le sel. Dans le Gard, on appelait olivarelles les jeunes filles qui ramassaient les olives longues dites " picholines " pour les confiseries de Nîmes, Beaucaire, Gignac, Aniane, St Jean de Fos et Montpeyroux. Les confiseurs mettaient les fruits dans de grands cuviers avec un bain de chaux et de sel de soude pour tuer leur âcreté, puis dans de la saumure avant de les expédier en barils.

Colin, confiseur rue du Moulin à Nantes, est considéré comme le père de la sardine à l’huile. Il eut l’idée de confire les sardines dans une préparation de beurre, vinaigre et huile et fut le premier à adopter le procédé de conservation dévoilé par Appert. Dès l’année suivante, en 1836, il produisait 100.000 boites de sardines, une partie étant expédiée sur la capitale. Son succès fit des émules comme Cassegrain et Amieux. En 1844, alors que Colin ouvrait un second atelier à St Gilles-Croix-de-Vie, ils étaient déjà sept à l'avoir imité. Onze conserveurs présentaient à l’Exposition de 1861 leur production estimée à quinze millions de boites. M. Pellier créa en 1841 une confiserie de sardines à La Turballe dans laquelle il produisit, la première année, 1.200 boites. Alors qu'ils échouaient jusqu'alors leurs embarcations sur la grève, les pêcheurs proposèrent d'aménager une jetée pour faciliter le débarquement du poisson, ce qui fut fait en 1857. Dès lors, l'activité se développa. Un demi-siècle plus tard, sept confiseries employaient dans une atmosphère saturée d'odeur de friture 1.200 personnes, dont les deux tiers de femmes et d'enfants, pour produire 3 millions de boites de sardines. Au cours du Second Empire, on ne compta pas moins de treize conserveurs à ouvrir un atelier sur le port des Sables d’Olonne...

En 1902, les 565 marins pêcheurs de Collioure ramenèrent 480 tonnes d’anchois, sardines et maquereaux avec leurs 137 bateaux. L’essentiel de leur pêche était livré aux 41 ateliers de salaisons dits " exercés " -exempts de gabelle- et aux 18 ateliers libres qui traitaient les poissons arrivant en vert d’Algérie par Port Vendres ou d’Espagne. Les sardines en vert recevaient une légère saumure qui permettait de les consommer presque fraîches. Beaucoup de poissons vendus alors dans le Sud-Ouest sous la dénomination " royans " provenaient en fait des salaisonneries de Collioure. Les trois-quarts, en particulier les anchois, étaient pressés dans la saumure après que les ouvrières les eussent vidés, étêtés et écaillés. Celles-ci les rangeaient si bien que leur travail donna l’expression " serrés comme des sardines " ou " serrés comme des anchois ".

Utilisant un autre procédé, à Meaux, Collet créa en 1848 un atelier de déshydratation de légumes et de plats cuisinés livrés à la marine nationale en tablettes comprimées de 25 g dans des boites soudées ou embouties. Un demi-siècle plus tard, son atelier qui employait 200 ouvriers et ouvrières à l’épluchage, au nettoyage et à la cuisson des légumes, était dirigé par le sénateur Charles Prévet. En fait, M. Collet n’avait fait que reprendre l’idée développée avec le concours du docteur Gannal et présentée trois ans auparavant à la Société d'Horticulture de Paris par Masson, jardinier en chef du palais. Cependant, outre qu'elles nécessitaient quatre heures de trempage avant cuisson, ces tablettes avaient l'odeur du foin. Les chimistes Morel et Fatio eurent l'idée d'utiliser la vapeur surchauffée. Plutôt que de se concurrencer, ils créèrent ensemble rue Marbeuf à Paris une usine qui deshydratait les légumes invendus des halles pour approvisionner les armées françaises.

Les produits de la pêche sont particulièrement périssables et la glace fut rapidement identifiée comme en étant un bon conservateur. La production artificielle fut longtemps obtenue exclusivement avec des mélanges réfrigérants découverts par les académiciens de Florence et listés en 1734 par Réaumur dans les mémoires de l’Académie des sciences.

Bien que le brevet en ait été déposé dès 1836, il fallut attendre 1873 pour que Tellier, premier d'une longue lignée d'ingénieurs frigoristes, utilise l’éther méthylchlorhydrique dans une fabrique de glace qu’il avait créée à Auteuil ainsi que dans un navire nommé " Frigorifique " chargé d’expédier des viandes de Rouen à La Plata. Cette expédition inaugura le développement rapide de la production industrielle de glace alimentaire et du conditionnement d’air.

Une compagnie anglo-suisse à l'origine du groupe Nestlé entreprit en 1866 la production de lait concentré sucré en boites de fer blanc. Comme une confiture avec 45% de sucre, la boite pouvait être ouverte sans que le produit s'altère. Le procédé était donc plus sûr que celui mis au point en 1850 par M. de Lignac, conserveur français qui n'ajoutait que 6% de sucre et devait stériliser ses boites selon le principe découvert par son collègue Appert

Huiliers

Bien que peu nombreux, les huiliers constituaient déjà en 1308 une communauté. Ils avaient 3 jurés et des mesureurs qui intervenaient toujours à deux pour inspecter les barils d'huiles apportés à Paris par les forains. Parmi ces trois jurés, deux étaient " gardes " de l'étalon royal et des mesures de cuivre pour les huiles (le quart d'huile correspondait à un quart et demi de vin) avec pour mission d'inspecter tous les métiers qui en faisaient commerce comme les bouchers, épiciers et vinaigriers. Les huiliers pouvaient employer 2 apprentis et autant d'ouvriers compagnons que nécessaire pour travailler jour et nuit. L'apprentissage durait 3 années. Dans les fabriques d’huile d’olives, les ouvriers chargés de surveiller le travail des moulins étaient dénommés diablotins.

L’huile d’olive était autrefois presque la seule substance oléagineuse utilisée en Europe. En 1718, en dépit de l’avis favorable de la Faculté de Paris, le lieutenant général de la police fit rendre une sentence qui interdisait aux marchands d’huile de mélanger l’huile d’œillette avec l’huile d’olive sous peine d’une amende de 3.000 livres. En 1774, l’abbé Rozier obtint une nouvelle consultation qui permit finalement de lever l’interdiction. Cette même année, l’abbé Rozier publia un mémoire sur la meilleure manière de cultiver cette plante et d’en extraire l’huile. En 1839-40, un agriculteur landais nommé Chaise acclimata chez lui l’arachide et obtint 22 quintaux à l’hectare.

Au milieu du XIXe siècle, il était d'usage d'apporter aux huiliers les graines oléagineuses à moudre (amandes, noix, navette, chènevis, olives, œillette, pignon, etc..) et de reprendre les huiles et pains de tourteaux aussitôt le travail achevé. Les graines oléagineuses étaient pilées avec des pilons dans des mortiers en chêne et ensuite pressées dans une presse à coins. Les pilons, dotés d’une tête cannelée en fer appelés " boccards ", étaient mus par la force du vent. On compta jusqu’à 500 de ces moulins à vent aux portes de Lille.

Vers 1880, au grand dam de leurs confrères provençaux qui se plaignaient de cette concurrence déloyale, quelques négociants de Salon-de-Provence s’avisèrent de couper l’huile d’olive avec des huiles de sésame et de coton deux fois moins coûteuses. Ils s’aperçurent alors que les consommateurs de Paris et du Nord préféraient cette huile frelatée qui, beaucoup moins typée, leur paraissait mieux raffinée ! Le développement de leurs ventes suscita de nombreuses vocations. Le nombre de négociants décupla en une quinzaine d’années : en 1900, on comptait dans Salon-de-Provence 400 marchands d’huile et autant de représentants de commerce à poste fixe spécialisés. Les plus entreprenants avaient leurs propres pressoirs à olives, importaient de l’huile d’olive d’Italie, d’Espagne et de Tunisie, vingt d’entre eux ayant même, pour valoriser les tourteaux, leur savonnerie.

Par contre les huiliers d’Aix restaient fidèles aux olivettes de Montaignet. Le long du canal du Verdon, du canal Zola et de l’Arc s’échelonnaient près de 40 moulins mus par l’eau, par un moteur à vapeur ou un simple cheval. Après la récolte, en décembre, les olives étaient tout d’abord pressées par une meule pour extraire l’huile vierge avant d’être mises dans des sacs de laine ou de crin appelés " scourtins ". Ceux-ci étaient placés sous un pressoir pour finir d’extraire l’huile vierge qui s’écoulait dans des réservoirs pleins d’eau afin de la purifier. Sortis des scourtins, les tourteaux étaient concassés et arrosés d’eau bouillante puis enfermés à nouveau dans des sacs pour être soumis à une pression plus énergique et laisser sortir " l’huile à manger ". Les tourteaux étaient une seconde fois concassés et jetés dans l’eau froide avant de passer dans un moulin à double étage. La pâte obtenue était pressée pour donner " l’huile lampante " bonne à être brûler dans les lampes alors que la " ressence " était utilisée par les savonniers de Marseille.

Sauciers et vinaigriers

Les sauciers vendaient des sauces toutes préparées que l'on emportait chez soi pour assaisonner les aliments. Un proverbe affirmait déjà en 1347" Il n’est moutarde qu'à Dijon " que les moutardiers bourguignons expédiaient à Paris. Ils faisaient ainsi concurrence aux successeurs des dix moutardiers de la capitale recensés en 1292. Dans les statuts de la corporation des sauciers enregistrés en 1394, on relève la composition de plusieurs sauces : la sauce à la cameline devait être composée de bonne cannelle, de bon gingembre, de bons clous de girofle, de bonne graine de Paradis, de bon pain et de bon vinaigre ; la sauce nommée " jence " devait être faite de bonnes et vives amandes, de bon gingembre, de bon vin et de bon verjus. Taillevant, maître-queux de Charles V et Charles VI, mentionne entre autres sauces dans son livre sur l'art culinaire l'eau bénite pour assaisonner le brochet ! ..

Le vinaigre s'appelait au moyen âge " vin de buffet ", d'où le nom de buffetiers donné à son fabricant. Les vinaigriers firent enregistrer les premiers statuts de leur communauté en 1394. Ces statuts prévoyaient 4 jurés chargés de l'inspection des marchandises et matériels utilisés et précisaient les jours obligatoirement chômés : les fêtes de Notre-Dame, des apôtres, de Ste Geneviève, St Vincent, St Nicolas, St Martin et les fêtes solennelles de Pâques, Noël, Toussaint et Assomption. La maîtrise n'était accessible qu'après 4 ans d'apprentissage et 2 ans de compagnonnage.

On comptait en 1650 près de 600 maîtres vinaigriers moutardiers dans la capitale, chacun ayant trois garçons qui, soit travaillaient à l'atelier, soit allaient par les rues vendre du vinaigre ou de la moutarde. Seuls les 200 maîtres vinaigriers avaient le droit de fabriquer du vinaigre et ils veillaient à ce que les cabaretiers et autres taverniers ne tentent d'en produire avec leurs vins gâtés. Ils n'avaient droit qu'à un commis habilité à marchander et à crier "la lie" pour collecter celle-ci dans les rues de Paris.

Ces artisans devaient fabriquer les vinaigres avec des vins non puants. Ils furent autorisés à brûler les lies pour distiller des eaux-de-vie. Par contre, il leur était interdit de faire des liqueurs et de confire des fruits dans l'eau-de-vie. Les vinaigriers exploitaient également des moulins à sénevé - qui ne devait pas sentir le remuage, c'est-à-dire le renfermé - pour fabriquer la moutarde, d'où leur autre dénomination de moutardiers. Plusieurs d’entre eux, dont quelques-uns avaient poussé la brouette dans les rues pour colporter leur production, conquirent à la fois une grande réputation et la fortune. Ce fut le cas, en particulier, au XVIIIe siècle, du sieur Maille qui sut composer 92 sortes de vinaigre alors qu’on n’en connaissait que 9 avant lui.

Dans les régions méditerranéennes, on se bornait à recueillir le chapeau des cuves de fermentation et à presser ce marc pour en extraire l’acide acétique qui s’y forme naturellement. L’abondance de la production familiale était telle qu’elle ne laissait pas la place à un homme de métier, ce qui n’était pas le cas dans les villes septentrionales. Dans certaines régions du Nord, le vin aigri était versé dans un tonneau mis debout, avec un couvercle mobile pour permettre l’aération et une fermentation aérobie. Ce tonneau, dont la valeur s’accroissait avec l’âge, se transmettait de père en fils.

A Orléans, les vinaigriers faisaient couler chaque semaine, à plusieurs reprises, 10 litres de vin sur de longs copeaux de hêtre tassés dans une cuve close dite " râpe à vin " ; ils le versaient ensuite dans un tonneau percé d’où ils soutiraient, en même temps un volume identique de vinaigre. C’est en 1868 que Pasteur proposera le chauffage à 60° du vinaigre pour en éviter les altérations.

Les sauciers avaient le monopole des pâtisseries chaudes qui exigeaient des sauces. Les vinaigriers, initialement membres de la communauté des sauciers, s'en séparèrent en 1599. Ils se réunirent en 1766 à celle des limonadiers qui les avaient, au préalable, autorisés à attabler des buveurs et à leur servir à boire des eaux-de-vie.

Curieusement, jusqu’à une date relativement récente, on ne trouve pas trace de la moutarde de Meaux... Il n’est pas du tout impossible que la solution à cette énigme réside dans le fait que sa fabrication ait été réalisée par les chanoines de la cathédrale de Meaux, jusqu’à ce qu’en 1760 le secret de sa fabrication soit cédé à J.B. Pommery. Durant plus d’un siècle, les descendants de celui-ci écrasèrent les graines de moutarde avec un moulin à bras avant de les aromatiser avec de l’estragon, du coriandre, de la cardamome, de la cannelle, du clou de girofle, du fenouil, du laurier, de la noix de muscade, du poivre, du piment et du thym

Brasseurs

Depuis les Sumériens, c’est-à-dire 4000 ans avant Jésus-Christ, on a fabriqué des boissons avec des grains fermentés. Selon les estimations qui ont pu être faites, les Sumériens réservaient 40% de leur récolte de céréales pour faire de la bière. Les Egyptiens faisaient un " vin d’orge " et les Grecs tels que Sophocle, Eschyle et Théophraste parlaient de " vin d’orge germée ".

La bière au houblon n’est apparue qu’au Xe siècle. On sait qu’une brasserie fabriquait à Arras en 1072 une bière pure malt, dite de Saint Landelin, pour les moines de l’abbaye de Saint Crespin. Il y avait cependant déjà en 967, à Esquermes près de Lille, deux brasseries, appelées alors des " cambes ", qui dépendaient de l’abbaye de Saint Bavon à Gand. Au XIIIe siècle, on appelait ces boissons des " cervoises ", fabriquées par des cervoisiers et l'on disait " brasser la cervoise ". Les Gaulois ajoutaient du miel à l’orge et au froment pour fabriquer cette boisson appelée " beer " par les Anglo-saxons et " bior " par les Normands. Les Romains nommaient " brace " la céréale cultivée en Gaule pour faire la cervoise, d’où le nom de l’artisan qui l’utilisait.

Les statuts de la corporation, homologués en 1489, précisaient les denrées admises dans la fabrication : l'orge, le méteil et la dragée ou de menues graines comme les vesces, les lentilles, etc. ... Par contre, l'emploi de pigment ou de poix-résine était interdit sous peine d'amende. Les maîtres brasseurs de Paris devaient identifier leurs barils avec une marque en plomb déposée au Châtelet. Ces manufacturiers s'engageaient, en cas de disette, à réduire, voire à cesser totalement leurs achats de grains et leur production sur simple ordonnance du prévôt de la ville.

Les brasseurs fabriquaient deux types de bières : d'une part des " doubles bières " avec du houblon et des grains d'orge et de froment germés, mouillés, touraillés, grués et moulus avant d'être cuits, d'autre part de la " petite bière " appelée " seigle " fabriquée en réutilisant l'eau et le houblon ayant servis pour les doubles bières. Ils étaient admis à la maîtrise après 5 années d'apprentissage, 3 années de service comme compagnon et la réalisation d'un chef-d’œuvre consistant en un " brassin " de 6 septiers de grains à confectionner en un jour. Pour éviter la prise de contrôle du métier par les plus entreprenants, un maître brasseur n'était pas autorisé à travailler plus de 15 septiers de farine par jour.

La confrérie était placée initialement sous le patronage de saint Léonard. Le lendemain de sa fête, le 6 novembre, avait lieu l'élection des jurés en charge d'inspecter les brasseurs de Paris et ses faubourgs ainsi que les levures livrées par les forains aux boulangers et pâtissiers (le colportage de ces levures était interdit). Le houblon trouvé échauffé ou moisi par les jurés devait ainsi être jeté à la rivière...

Pour mieux organiser les contrôles dans toutes les villes du royaume, il fut créé 6 offices d'essayeurs de bière en 1625. En réalité, il ne s'agissait que d'une mesure fiscale de plus et les brasseurs payèrent au roi pour demander la suppression de ces offices... Lors de la confirmation de leurs statuts par Louis XIV en 1686, on dénombrait 78 maîtres brasseurs dans la capitale. Par la suite, ces artisans changèrent de protecteur : d’après le Guide des Marchands parisiens de 1766, leur confrérie établie à la Sainte Chapelle basse et regroupant les 50 brasseurs de Paris, était placée sous le patronage de la Sainte Vierge. Comme leurs collègues belges, les brasseurs du Nord se plaçaient sous le patronage de saint Arnoult de Soissons.

La brasserie constituait l’une des principales activités manufacturières traditionnelles du Nord de la France : chaque commune avait une, voire plusieurs brasseries, pour étancher la soif de la population locale. Ainsi, en 1900, on ne comptait pas moins de 1.500 brasseurs produisant en moyenne 3 à 4.000 hectolitres chacun. La plupart d’entre eux possédaient plusieurs estaminets pour contrôler la commercialisation de leur bière. En effet, produite par fermentation haute, celle-ci était de conservation délicate en l’absence de pasteurisation.

Les brasseurs utilisaient une pelle en bois pour agiter continuellement le moût en ébullition. Ils transféraient ensuite celui-ci dans de grandes cuves réfrigérées par des serpentins avant de l’ensemencer avec de la levure afin d'obtenir une bonne fermentation. Pour la livraison, les tonneaux de bière étaient transportés à dos d’homme : le tonneau était suspendu sur un " tinet ", sorte de barre de bois dont les deux extrémités étaient façonnées pour épouser la forme de l’épaule des deux manœuvriers. Certains n’étaient que de simples fermiers qui brassaient leur orge, ainsi était-ce le cas de la brasserie Deschamps à Monceau-Saint-Waast. En tout état de cause, la distribution des futs de bière en charrette attelée limitait le rayon de livraison à une quinzaine de kilomètres.

Les 80 artisans brasseurs que comptait Strasbourg en 1850 apprirent de leurs collègues bavarois à creuser des caves dans le roc pour conserver la bière. Ils cherchèrent donc des collines rocheuses dans les environs et essayèrent, l'année suivante, de creuser le lehm des collines de Schiltigheim. Les caves s'y avérèrent sèches et saines, aptes à y conserver la glace et maintenir le froid nécessaire. Très rapidement, une douzaine de brasseurs s'installèrent dans la localité, attirant avec eux sept malteurs et un tonnelier. Par contre, dans la capitale alsacienne, la concurrence des bières allemandes aidant, le nombre de brasseurs diminua rapidement, passant à 35 en 1870 pour n'être plus que 7 en 1907. Avec ce transfert, le métier devint scientifique et industriel. Les 800 ouvriers des 12 brasseries de Schiltigheim n'avaient déjà plus de point commun avec ces compagnons brasseurs qui allaient de ville en ville apprendre le métier et terminaient leur tour de France à Lyon où leurs prédécesseurs alsaciens s'étaient installés.

Un brasseur lorrain imaginatif de Tantonville créa, à la fin du XIXe siècle, la première bière sans alcool. Malheureusement pour lui, il était trop en avance sur son temps et son innovation fut un échec commercial

Malteurs

Initialement, chaque brasseur conduisait la germination de l’orge et le touraillage pour la fabrication du malt dont il avait besoin pour fabriquer sa bière. C’était ainsi le cas de la brasserie Dequielt, dont l’existence est attestée à Saint-Quentin-les-Aire dès 1775 et qui n’abandonna la production de malt qu’en 1925. Comme pour le charroi de la bière, c’est la plus noble conquête de l’homme qui actionnait le manège afin de moudre le malt et de mélanger celui-ci avec le houblon avant l’empattage.

A partir de 1850, la transformation de l’orge en malt se fit dans des établissements spécialisés. Ainsi, en 1874, M. Cossart installa-t-il un atelier avec ses silos, ses germoirs et sa touraille dans le voisinage immédiat de la brasserie Verhille à Aire-sur-la-Lys et, en 1889, les frères Vandecasteele fondèrent-ils à Wizernes une malterie qui sera à l’origine de la société Malteurop

Cidriers

C’est à partir du IVe siècle que l’on donna le nom de " sicera " à la boisson issue de la fermentation du jus de pommes, nom qui deviendra " sidra " pour les Basques, puis cidre au XVIIe siècle. Charlemagne recommandait qu’il y eût dans toutes ses métairies des gens appelés " siceratores " sachant fabriquer le cidre. En fait, ce nom s’appliquait à tous les ouvriers qui savaient fabriquer une boisson alcoolisée, cidre ou bière. Au XIIIe, Guillaume le Breton parlait déjà des cidres mousseux du pays d’Auge mais on fabriquait également du cidre dans la Navarre française.

Le cidre normand ne s'est imposé face à la cervoise des gaulois qu'au XIIIe siècle. On ne trouve de texte se rapportant à la distillation du cidre qu'au XVIe avec un document du sieur de Gouberville. L'eau de vie obtenue, connue sous le nom de "goutte", ne sera baptisée calvados qu'au XIXe siècle par les négociants parisiens.

Pour donner plus de couleur au cidre, certains producteurs y incorporaient du caramel ou y faisaient macérer du coquelicot, de la cochenille ou une autre matière tincturale. Plus couramment, des falsificateurs parisiens fabriquaient une boisson qualifiée abusivement de cidre alors qu’elle était produite en faisant fermenter des pommes cuites macérées quelques jours dans du sirop de fécule !

Dans toute la Normandie, on se servit longtemps d’un pilon en bois de poirier, de sorbier ou de charme pour piler les pommes. Mais, au XIXe siècle, le pilage à bras d’homme était déjà totalement remplacé par le " tour à piler ", grande auge en pierre de 20 mètres de circonférence et profonde de 30 à 35 cm dans laquelle tournait une meule en bois mue par un cheval. Avec un bâton, un ouvrier rabattait la pulpe qui remontait sur les parois de l’auge. Au cours du Second Empire, les cidriers lui substituèrent un grugeoir. Bien que manœuvré à bras à l’aide d’un grand volant, celui-ci avait l’avantage d’être mobile. Jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale, on fabriquait le cidre à l'aide de grands pressoirs en bois actionnés par de grandes roues. La pulpe des pommes à cidre était chargée dans le pressoir avec des pelles en bois. Sur une table, dite " fesselle " ou " chassis d’émoi " en Normandie et " mée " dans la Brie, le cidrier déposait la pulpe en couches successives d’une quinzaine de centimètres séparées par un mince lit de paille de seigle ou un tissu de crin. Par simple égouttage, il obtenait en quelques heures la " mère-goutte ". Lorsque le jus avait cessé de couler après un premier pressage, il taillait la motte de marc avec un grand couteau et recommençait jusqu’à épuisement du jus. Quatre ouvriers cidriers arrivaient ainsi à produire 18 à 20 pièces de cidre de 225 litres chacune en une saison. Les paysans pauvres, et qui avaient besoin de boisson pour eux-mêmes faute d’eau potable, ajoutaient 25 litres d’eau pour chaque quintal de marc épuisé et repressait celui-ci pour faire un cidre léger ; certains répétaient même ce mouillage une seconde fois

Œnologues

Quoique Pline en ait recensé 80 différents, il est probable que peu d’entre nous apprécierions la boisson sirupeuse que les Anciens appelaient vin. Les vins grecs provenaient de la fermentation de raisins secs additionnés d’eau de mer. Les Romains ajoutaient aux moûts concentrés par cuisson divers aromates tels que le thym, la cannelle, la menthe, le serpolet, la rose, le genièvre, le laurier, l’absinthe, le raifort et le safran pour mieux conserver le vin ainsi obtenu. Certains gourmets faisaient infuser des pousses de pin dans leur vin. Le remplacement des amphores par des foudres de chêne entraîna la disparition de ces boissons aromatisées.

Des bibliothèques entières sont consacrées à la viticulture et à l'œnologie. Rendons simplement ici hommage à l'un des œnologues de génie. Dom Pérignon (1638-1715), cellerier de l’abbaye bénédictine de Reims, trouva le moyen de conserver la mousse produite par la seconde fermentation du champagne en remplaçant les bouchons de chanvre huilé par des bouchons de liège. Son procédé fut amélioré par le frère Jean Oudart, autre moine bénédictin, mais de l’abbaye de Châlons. Les ventes de champagne n’atteignaient encore que 300.000 bouteilles en 1785. Sa notoriété crut rapidement parmi la bourgeoisie française et internationale, les ventes passant de 6 millions de bouteilles en 1845 à plus de 39 millions en 1910, plus des deux tiers étant exportées. Cet engouement ne pouvait qu’inciter à l’imitation frauduleuse. Les négociants champenois durent poursuivre leurs confrères de Vouvray qui avaient vendu des mousseux sous les étiquettes d’Ay et de Verzy, ceux d’Angers sous celles d’Ay, de Bouzy et de Sillery. En 1885, le Syndicat du commerce des vins de Champagne attaqua également les négociants de Saumur mais ceux-ci, plus prudents, avaient acheté des vignobles et des caves en Champagne, écoulant des vins de Loire par leur intermédiaire. Les arrêts rendus faisaient tous référence à la région de Champagne comme seule région d’origine légale, mais encore fallait-il en tracer les limites !

Bariliers

Parmi les innombrables employés de la Maison royale, le contrôleur du Gobelet devait être présent à la réception de toute la viande et du poisson commandés par les cuisines. Il examinait toutes les pièces et les condiments prévus au menu avant leur utilisation. Il avait, en outre, la garde de l'eau et du vin et tenait un registre de toutes les nouveautés de viandes, fruits, confitures, vins de liqueur, etc... destinées à la consommation du roi. Au-delà de cette mission de contrôle, cet employé exerçait celle de goûteur au cas où une âme malveillante - et il n'en manquait point durant la Renaissance - eût glissé un poison dans les préparations culinaires.

Lors des déplacements du roi, en particulier à la chasse, deux officiers étaient tenus de toujours le suivre à distance respectueuse pour lui apporter, au moindre signe, de quoi se sustenter. Ces officiers étaient désignés sous les noms de coureurs de vin ou de conducteur de la hacquenée. Les coureurs de vin portaient une grosse valise de drap rouge frappée aux armes royales qui renfermait des serviettes, 6 pains, 20 grands biscuits, 6 douzaines de petits choux, 6 paquets de confitures sèches, 6 paquets de pastilles 6 oranges du Portugal et 6 bouteilles de vin. Pour les jours dits " maigres ", on ajoutait un pâté de poires de Bon Chrétien, un pâté d'œufs brouillés, deux fromages à la crème, deux gâteaux à la crème, 24 talmouses et 24 brioches ! Derrière la haquenée, deux chevaux portaient du pain et du vin en abondance. On peut penser que tous ces vivres n'étaient pas destinés à combler le seul appétit du monarque, mais également celui de sa suite.

Saint Louis avait autant de soins pour sa barillerie que pour sa chapelle et trois bariliers, qui mangeaient à la cour, étaient préposés à la garde des tonneaux, muids et barils. Le roi Jean se contentait, lui, de deux bariliers d'échansonnerie

Distillateurs

Les Grecs antiques connaissaient déjà la distillation de l'eau de mer. Les Arabes d'Alexandrie transformèrent au IVe siècle le nom grec original de vase en "alambic". C'est néanmoins Arnaud de Villeneuve, médecin du XIIIe siècle, qui fut le premier à parler clairement d’eau-de-vie. Dans son " Traité sur la conservation de la jeunesse ", il soutint " Le nom d’eau-de-vie lui convient puisqu’elle fait vivre plus longtemps… Elle prolonge la santé, dissipe les humeurs superflues, ranime le cœur et conserve la jeunesse... ". L’eau-de-vie était ainsi regardée comme une panacée contre le vieillissement et on en frictionnait les membres pour leur redonner vigueur. Tant et si bien que cette pratique fut fatale en 1387 au roi de Navarre, Charles le Mauvais : on avait enveloppé son corps d’un drap trempé d’eau-de-vie pour le réchauffer ; le domestique qui avait cousu ce drap n’ayant pas de ciseaux pour couper le fil approcha une bougie... on devine ce qui s’en suivit.

La distillation d'eaux-de-vie et autres essences a longtemps été le privilège des vinaigriers et épiciers-apothicaires. Formée en spécialité distincte, cette industrie obtint en septembre 1624 le droit de faire des eaux-de-vie, sans pour autant supprimer celui des deux autres professions. Dix ans plus tard, les statuts de la communauté parisienne des distillateurs furent homologués par le prévôt des marchands et le procureur du Roi mais, du fait des réserves de la Cour des Monnaies qui "craignait que ces fabricants d'acides n'altèrent les monnaies", l'enregistrement de ce métier n'eut réellement lieu que cinquante ans plus tard. Un arrêt du Conseil d'Etat de 1746 leur a d'ailleurs, ensuite, interdit de détenir des distillations chimiques pour la fusion des métaux..

Enregistrés en janvier 1676, les statuts des distillateurs leur permettaient de distiller, fabriquer et vendre des vins de liqueurs, essences parfumées, sirops, fruits à l'eau-de-vie, cafés, thés et chocolats. A cette date, la communauté comptait 250 membres.

Les distillateurs avaient des concurrents redoutables en la personne des limonadiers, marchands parisiens d'eaux-de-vie en gros et au détail. Mais ils étaient surtout gênés par les 50 essayeurs d'eaux-de-vie et autres jaugeurs de vins chargés du contrôle et de l'imposition des différentes taxes sur les boissons. Après diverses décisions arbitraires de Louis XIV (suppression des maîtrises remplacées par des privilèges héréditaires, puis retour aux anciens statuts..) n'ayant pour seul but que de créer de nouvelles taxes, les limonadiers fusionnèrent en une seule communauté avec les vinaigriers en 1776. Cette nouvelle corporation regroupait ainsi 1.800 membres en 1782 à Paris.

Durant des siècles, le vin languedocien, de mauvaise qualité et intransportable, fut en grande partie distillé puis transporté jusqu’à Sète par le canal du Midi. A l’occasion de la vente des biens nationaux décidée par la Convention, quelques familles biterroises achetèrent les terres de l’Eglise et spéculèrent en investissant dans le commerce des alcools. On pouvait ainsi dénombrer 150 distillateurs dans le seul arrondissement de Béziers en 1824 et la place des Trois-Six devint l’un des principaux marchés européens des alcools. Surgirent alors une centaine de châteaux plus somptueux les uns que les autres dans un rayon de trente kilomètres. Ces châteaux n’étaient cependant que des résidences secondaires occupées durant la seule saison des vendanges ! .. Le reste du temps, les distillateurs se partageaient entre leur maison de maître dans Béziers et diverses villégiatures thermales ou citadines (Toulouse, Bordeaux, Paris..). Ce train de vie princier, entretenu un moment par le jeu de mariages richement dotés, dura jusqu’à la révolte des vignerons de 1907.

Beaucoup contestent à Edouard Adam (1768-1807), simple marchand de mousselines à Nîmes, l’invention de ses vases de distillation permettant de produire sans rectification ce qu’on appelait le " trois-six " alors qu’il fallait opérer quatre à cinq distillations successives pour obtenir le même résultat avec l’alambic préconisé en 1780 par Chaptal. Il n’en demeure pas moins que, tout en gardant secrète la réalité de son procédé, il déposa en 1801 un brevet vingt trois jours avant Laurent Solimani, un médecin et professeur de chimie nimois qui fut probablement son inspirateur…

L’appareil d’Adam coûtait une fortune : pas moins de 30.000 francs. Or, dans le même temps, un modeste et ingénieux bouilleur de vins de Lunel nommé Isaac Bérard (1770-1819), sans véritables connaissances scientifiques, mettait discrètement au point au fond de son jardin une colonne analyseuse à diaphragmes plus performante. Ne coûtant que 350 francs et étant adaptable à toutes sortes de chaudières, l’appareil de Bérard ruina Adam.

Un agriculteur érudit du département du Nord, M. Champennois, eut le premier l’idée de distiller le jus des betteraves qu’il produisait. Il ne tarda pas à être imité, au point qu’en 1868 on comptait 300 distilleries agricoles dans le Bassin parisien. Le développement très rapide de la production d’alcool entraîna un effondrement de son prix. Ceci eut une conséquence lourde dans le Languedoc : la production d’eau-de-vie de vin n’étant plus rentable, les viticulteurs méridionaux se mirent à soigner leur production pour la vendre aux marchands de vins plutôt que de la brûler.

Les moines et moniales ont la réputation, souvent justifiée, d’être à l’origine d’excellentes liqueurs. On connaît la bénédictine mise au point en 1510 par le moine bénédictin Bernardo Vincelli. Son élixir, subtil mélange de 27 plantes et épices élaboré au cours de multiples manipulations attentives étalées sur deux années, fera dire à François Ier : " Foy de gentilhomme ! oncques n’en goustai de meilleur ". Perdue lors de la Révolution, la précieuse recette fut retrouvée en 1863 par un négociant en vins et spiritueux de Fécamp au nom évocateur d’Alexandre Le Grand. Esprit visionnaire et précurseur du marketing, Alexandre Le Grand fit construire dans la ville un palais-usine en guise de distillerie; il le dénomma ‘Palais Bénédictine’ en hommage à l’inventeur de sa ‘Bénédictine’ qui est exportée aujourd’hui à 95%... Quant au guignolet, liqueur composée de cerises et de guignes macérées dans l’eau-de-vie sucrée, il aurait été inventé au début du XVIIe par les sœurs bénédictines de la Fidélité de Notre-Dame du Bon Conseil à Angers. Lors de la dissolution des ordres religieux en 1791, sa fabrication fut reprise par des liquoristes de la ville, en particulier Adolphe Cointreau qui inventera ensuite sa propre liqueur aux oranges amères.

Toutefois, contrairement à ce qu’on pense généralement et bien qu’ils aient la plus grande cave de liqueurs au monde, les moines de la Grande Chartreuse ne sont pas les inventeurs de la liqueur qu’ils fabriquent. La recette fut d’abord donnée en 1605 par le maréchal d’Estrées aux moines trappistes de la chartreuse de Vauvert, près de Paris. Mais ceux-ci ne surent que faire de cet élixir dont l’élaboration nécessitait 130 plantes, avec une proportion importante de plantes poussant en altitude. Ce n’est qu’en 1737 qu’ils communiquèrent la recette de la fameuse liqueur jaune à leur maison mère, la Grande Chartreuse, fondée à Voiron en 1084 par saint Bruno. Le frère Jérôme Maubec, apothicaire du monastère, nota avec minutie en 1764 la recette et les tours de main pour fabriquer " l’Elixir de Monsieur le Maréchal d’Estrées ". Lors de la suppression des ordres religieux par la Révolution en 1791, seul un moine fut autorisé à rester sur les lieux et conserva précieusement la formule qui put, à nouveau, être exploitée lorsqu’en 1817 les chartreux réintégrèrent leur monastère.

Des distillateurs dunkerquois eurent l’idée, en 1770, de distiller de l’eau-de-vie de genièvre. Devant leur succès, ils furent rapidement imités : alors qu’ils n’étaient que trois en 1789, ils n’étaient pas moins, quinze ans plus tard, de 72 dans la région. Sur les trois ateliers qui continuent à distiller le genièvre, la plus ancienne est celle fondée en 1812 par la famille Persyn à Houlle.

S’inspirant des techniques élaborées par ses voisins, un pharmacien nommé Claude Brun commença en 1807 une longue carrière de liquoriste très branché sur l’actualité en lançant le " Nectar des chevaliers de la Légion d’honneur ". Après une première absinthe, il développa ensuite une longue série de nectars aux noms très évocateurs : l’Elixir des Braves, la Valeureuse, Washington, Américains, Mexicains, la Bataille de Navarin, le Nectar de la Marine pour commémorer la prise d’Alger, l’Eau de Consolation, le Nectar de la Charte de 1830, le Nectar de Mazagran, le Zanzibar des Arabes, le Petit-Lait d’Henri IV, l’Eau du Chasseur, la Crème du Poète, l’Elixir Garibaldi, la Liqueur de Sébastopol, la Liqueur des Sapeurs Pompiers…

L’absinthe était qualifiée de " fée verte " par les initiés. Tout au long du XIXe siècle, elle fit l’objet d’une véritable passion. Sa consommation s’accompagnait d’un véritable rituel autour des robinets d’une fontaine d’où s’écoulait goutte-à-goutte un alcool qui titrait jusqu’à 72 degrés... Le premier producteur fut, en 1805, un dénommé Pernod de Pontarlier. Cette cité ne comptait pas moins de 22 distillateurs à la veille de la Première Guerre Mondiale. L'absinthe étant accusée par les viticulteurs de provoquer la démence des soldats et d’alimenter la criminalité, il fut interdit en 1915 aux distillateurs d'en poursuivre la production... Pour survivre, le fils Pernod et ses collègues obtinrent finalement en 1920 l’autorisation de se reconvertir dans la fabrication d’apéritifs anisés.

La consommation d’eau-de-vie s’est accrue considérablement au cours du XIXe siècle. Ainsi, à Paris, est-elle passée de 8 litres par personne en 1839 à 28 litres en 1864. A Amiens, il se buvait chaque matin plus de 80.000 petits verres de liqueur… La situation était encore pire en Europe du Nord puisque les trois millions de Suédois consommaient deux cents millions de litres d’eau-de-vie ! Il n’est donc pas étonnant que l'alcoolisme ait alors fait des ravages dans les campagnes et généré tant de handicaps malheureusement héréditaires. C’était le cas, en particulier dans le Vermandois où, à la veille de la Première Guerre mondiale, on put constater que 18% des jeunes tirés au sort pour la conscription étaient épileptiques !

Dans les années 1900, il n’était guère de communes des cantons cévenoles de Claret et des Matelles où n’étaient pas installé un distillateur d’essences de plantes aromatiques sauvages. Celui-ci se rendait avec son alambic ambulant dans les garrigues, sur le lieu de récolte de l’aspic, du romarin, du thym, de la sabine, de la sauge, du serpolet, de la sarriette et du laurier. Les négociants de Sommières expédiaient les huiles essentielles ainsi extraites aux savonniers français, russes, américains et même australiens

Torréfacteurs

On ne sait pas qui a mis au point ce qui fut un temps un succédané bon marché du café, mais les Romains de l’Antiquité comme Horace, Pline et Théophraste connaissaient les bienfaits de la décoction de chicorée. Les Hollandais torréfiaient la chicorée depuis 1690 mais gardaient jalousement le secret de leur activité. Vers 1776, en visite près de Tournai, le distillateur valenciennois Charles-François Giraud (1757-1827) observa le procédé de torréfaction utilisé par deux médecins ; il l’améliora en découpant les racines en cossettes avant de les faire sécher dans la touraille de sa malterie.

Il fallut attendre que le blocus impérial coupe la route aux importateurs de café pour que s’ouvre le marché de la chicorée torréfiée. Protez-Delatre s’installa en 1805 à Cambrai et dix ans plus tard, Lestarquit à la Bassée. L’année suivant la chute de Napoléon, une loi taxa les importations de chicorée et de racines pour favoriser la production en France. Les créations de fabriques, employant chacune trois ou quatre ouvriers, se multiplièrent : 37 dans le seul arrondissement de Valenciennes et 18 à Lille. Avec l’ouverture du marché à l’ensemble du territoire national grâce aux chemins de fer, certaines fabriques se développèrent rapidement : la fabrique créée à Cambrai en 1826 par Casiez employait 150 ouvriers en 1908 , celle de Duroyon & Ramette 130, celle de Williot à Poix-du-Nord 75…

Jusqu’en 1960, l’extraction des racines s’effectuait manuellement d’octobre à décembre à l’aide d’un " fourquet " constitué d’un manche en bois et d’un fer à deux dents. Dans les petites fermes, c’était le planteur lui-même et sa femme qui faisaient l’arrachage des racines que les enfants, à la fin de la classe, entassaient au bout de la parcelle après les avoir décolletées. Ceux qui les essuyaient avec un torchon pour enlever la terre étaient payés 2 sous de plus à la tonne. Dans les grosses exploitations, les ouvriers agricoles étaient payés à la tâche : les travaux étaient divisés en quarts, six quarts valant un hectare. Dès l’arrachage, les racines étaient acheminées en chariots attelés par un ou deux chevaux jusqu’au séchoir. Dans les petits ateliers, des ouvriers les remuaient à l’aide de fourche en bois ou de balais dans des bacs en tôle munis de grilles. Dans les plus grandes sécheries, les racines étaient séchées dans un réservoir en briques après avoir été lavées dans un panier en lattes de bois, puis débitées à la main ou avec un coupe-racines en cossettes vertes. A partir de 1892, les séchoirs statiques à platine, dits " touraille ", se généralisèrent et ne furent progressivement remplacés qu’à partir de 1950 par les séchoirs rotatifs motorisés.

Les ouvriers logeaient tout à côté des foyers dont l’entretien exigeait l’attention constante pour entretenir une température de 60 à 120° selon l’emplacement. Durant des journées de quinze heures… marchant sur les plateaux en fer, au cœur d’une atmosphère surchauffée et saturée d’humidité, munies de râteaux ou de pelles avec pour seule protection une sorte de jupe de lin ou de coton et une paire de sabots, les équipes de deux à six sécheurs retournaient en permanence la couche de 40 à 80 cm de cossettes. Une équipe de sept ouvriers pouvait ainsi produire quatre tonnes de cossettes séchées, c’est-à-dire qu’elle manipulait seize tonnes de cossettes fraîches par jour…

La forte hausse du prix des cossettes belges en 1892 entraîna la fermeture de nombreuses sécheries flamandes, ce qui incita les ouvriers belges à venir travailler dans les sécheries du Nord. Arrivant à bicyclette, le propriétaire de la sécherie leur offrait le premier jour un cochon mis au saloir, cochon qu’ils cuisinaient sur place avec des pommes de terre. Lorsque l’accueil était bon, ces ouvriers revenaient régulièrement. Ainsi, de 1912 à 1968, le père et les trois fils Depla rejoignirent-ils la sécherie de Oye-Plage et, à la sécherie de Grande-Synthe, le maître sécheur Maurice Demets participa-t-il à 25 campagnes, de 1936 à 1961. Pourtant, les conditions d’hébergement étaient spartiates, le logement dit " chambre des Belges " n’ayant le plus souvent ni fenêtre, ni sanitaires.

Les cossettes séchées étaient ensuite livrées aux torréfacteurs. Ceux-ci les faisaient brûler dans des boules de torréfaction en tôle actionnées manuellement ou à l’aide d’un manège à cheval avant de l’être avec une machine à vapeur. L'opération durait deux heures, jusqu’à ce que la torréfaction idoine se manifeste par une fumée blanche à reflets violets et par une odeur particulière. Les torréfacteurs chargeaient les boules et conduisaient les feux en évitant surtout le " coup de feu ", c’est-à-dire l’incendie du produit. Ils ajoutaient alors un pour cent de beurre pour lustrer la chicorée et lui donner la couleur du café brûlé avant de la concasser, de la bluter et de l’emballer dans des paquets ornés de superbes chromolithographies.

Parmi tous les chicoratiers de la région, l’entreprise Leroux sut s’imposer par son dynamisme et ses innovations techniques et commerciales. Un ingénieur parisien nommé Jean-Baptiste Leroux (1800-1882) avait acheté en 1858 une manufacture d’Orchies à Verley-Charvet pour la confier avec ses six ouvriers à son fils Alphonse-Henri-François. La première année, avec ses quatre boules, deux blutoirs, deux paires de meules de pierre et deux concasseurs mus par une machine à vapeur de 10 CV, il torréfia neuf à dix tonnes de cossettes, fabriqua près de dix tonnes de chocolat et accessoirement du tapioca. A la suite d’un incendie en 1871, Alphonse-Henri-François Leroux reconstruisit une usine spécialisée avec une sécherie à l’extérieur de la ville, le long de la ligne de chemin de fer pour réduire ses coûts d’approvisionnement. En 1886, son fils cadet Alphonse-Henri-Eugène, entré à 17 ans dans la manufacture, fera embaucher le premier représentant de commerce par l’entreprise puis, en 1904, lancera une série de concours dotés de prix en espèces et de divers cadeaux. Dix ans plus tard, la manufacture d’Orchies employait 160 personnes, torréfiait 10% de la production nationale et exportait jusqu’en Argentine.

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